Volte-face : Anne Quénot, de la banque à l’engagement associatif local : « Activer une quête de perfection dans l’écologie, c’est se faire du mal »
Poussée dans son orientation par sa famille, entrée dans la banque sans conviction, engluée dans un monde de l’entreprise qu’elle ne comprenait pas, Anne Quénot a connu une longue transition vers la fusion de son engagement citoyen et de son projet professionnel. Un chemin marqué par le temps long, mais aussi par l’importance des rencontres et du collectif.
Dans un monde qui court, peut-on faire volte-face en marchant ? L’histoire d’Anne Quénot semble montrer que oui. Que la lenteur peut être l’alliée de la transition. Qu’au bout du compte, comme disait l’autre, il faut juste partir à point. Anne, peut-être, a tardé. A attendu qu’on la pousse. Elle a pris le temps, mais c’est ce ralentissement, justement, qui lui a permis de trouver le bon chemin. Ne faut-il pas freiner pour prendre un virage ?
Pendant longtemps, Anne, qui a grandi « dans un environnement de droite », élevée par « une génération qui a subi le marketing », n’a connu de l’écologie que « le plaisir des parents dans leur jardin », « le bon sens paysan » et « des valeurs de simplicité assez forte ». C’est de sa passion pour l’aviron, dont elle a été championne de France, qu’est né « un lien, pas forcément conscient, avec l’eau et plus globalement avec le vivant ». Mais, guidée par son entourage, elle oublie son intérêt pour l’art et enchaîne un bac S, un DUT Gestion, une expérience d’assistante français en Angleterre et une école de commerce. « Je ne savais pas quoi faire et comme tout le monde autour de moi faisait une école de commerce, j’ai fait pareil. » Au cours de ses études, elle découvre l’Autriche et surtout la Suède. « C’est là-bas que j’ai eu mes premiers contacts avec des comportements vraiment écologiques. Quand je suis revenue en France, j’ai vu un gros décalage de mentalité sur la manière de prendre soin de notre environnement. »
Puisqu’elle ne sait pas encore « comment lier compétences et aspirations » elle se laisse porter par le destin, qui, au détour d’une mission d’intérim, lui ouvre les portes de la BNP Paribas en 2007. « La banque, c’était un peu le rêve de mon père. » Comme souvent, le temporaire s’éternise, et huit ans plus tard Anne est toujours là, malgré une « perte de sens » précoce. « Je me suis vite rendu compte que je donnais beaucoup à mon job et que j’avais peu de reconnaissance en retour » En interne, elle développe une communauté pour « créer du lien entre les salariés » et « retrouver du sens au travail ».
Des rencontres déterminantes
En parallèle, elle tombe sur le programme Ticket for change, un cours en ligne pour découvrir l’innovation sociale, porté par un organisme qui prépare à l’époque un grand tour de France avec des porteurs de projets. « Je me dis : waouh ces gens sont incroyables, j’ai envie d’aller aux quatre coins de la France avec eux. Je me suis engagée, j’ai levé des fonds, et je suis partie. » Un périple qui dessine le chemin. « C’était très inspirant, ça donnait envie de passer à l’action. Il y avait beaucoup de profils différents, de sujets différents… C’est un peu comme si j’avais basculé par le simple fait d’être en contact avec des gens qui étaient déjà ouverts sur ces questions-là. » Un basculement intimement lié à ces rencontres. « Je suis rentrée dans l’écologie par le collectif. Avec le recul, je réalise que c’est une constante dans ma vie : je viens d’une famille nombreuse, j’ai pratiqué à haut niveau le sport collectif, mon sujet de mémoire était « Comment la proactivité au sein des entreprises améliore la satisfaction client », autrement dit c’était déjà l’idée de se reposer sur l’intelligence collective… » Et c’est encore au milieu des autres, donc, qu’elle a trouvé l’inspiration qui allait lui permettre de passe à l’acte. « Ça a été un déclic. En voyant faire ces gens, j’ai compris que c’était possible, que je pouvais utiliser mon énergie sur des choses qui avaient du sens pour moi. J’ai passé des années à me prendre des murs en entreprise, je ne comprenais pas, et là tout d’un coup c’était simple, c’était facile, il y avait une telle ouverture et une telle inspiration… Ça a changé quelque chose en moi. »
Le doute, pourtant, dont on connait la puissance immobilisatrice, la retient encore. « L’aventure Ticket for change a commencé le jour de mes 33 ans. J’étais la plus vieille, de loin. Certains étaient à peine majeurs. J’avais le sentiment que ces gens étaient trop cool, que je ne pourrais jamais être comme eux. J’avais l’impression d’avoir perdu du temps. Ce n’était pas de la jalousie, mais de l’amertume. Je me disais : merde, si j’avais su… » Des regrets que l’on entend souvent dans la bouche de celles et ceux qui, épanouis après une volte-face, pestent contre le temps perdu. Un temps pourtant nécessaire. « Je ne serai pas qui je suis aujourd’hui si je n’avais pas traversé toutes ces étapes », reconnait d’ailleurs Anne.
Poussée vers son destin
Elle-même a traîné quelque temps encore dans les couloirs de la BNP Paribas. « Ce n’est jamais le moment de partir : c’est dommage, le treizième mois arrive, puis le bonus, puis la participation intéressement, puis le nouvel avantage du CE… C’est un engrenage pour ne pas aller voir ailleurs. Je ne sais pas si on peut parler de prison dorée, mais moi depuis le départ je n’avais pas prévu de travailler chez BNP Paribas, c’était temporaire, et je suis resté 9 ans… » Un coup du sort, si on peut décrire ainsi un long arrêt maladie ponctué d’un licenciement, la pousse finalement vers d’autres cieux. « Est-ce que j’aurais réussi à partir ? Je pense. Le jour de mon retour, je me souviens très bien de ce moment où les portes de l’ascenseur s’ouvrent et je me dis : mais qu’est-ce que je fous là ? J’ai eu des problèmes de santé récurrents à partir de ce jour. Si ça ne s’était pas arrêté, mon corps aurait dit stop. Il y avait quelque chose de viscéral. »
Si certains sont lièvres, Anne est incontestablement tortue. Et c’est lentement, une fois de plus, qu’elle va construire la suite. « Il y a eu un vide. J’ai dû rester à la maison à ne rien faire. Je ne sais pas si c’était une dépression, mais en tout cas un ralentissement forcé. J’étais dopé à la codéine ou à l’opium, je suis resté dans mon cocon pendant un an.” Peu à peu, elle retrouve la vie. Tranquillement, en marchant. “Je ne voulais plus prendre les transports, donc je faisais tout à pied, et j’ai redécouvert mon quartier.” L’appartement dortoir devient un lieu de vie, le 14 arrondissement de Paris une terre de découvertes. « Je me suis émerveillée de plein de choses, mais je n’avais plus personne à qui le partager. Du coup, j’ai créé un blog pour raconter ma vie au ralenti. J’ai pensé : puisque je n’ai personne à qui le dire, je vais l’écrire et on verra bien. C’est un peu comme ça que ma transition s’est matérialisée »
Pêle-mêle sur ce site très personnel : des réflexions, des observations, des émerveillements. L’écologie et la culture se croisent dans ce microcosme ultralocal. Alors que le voisinage se réjouit en ligne de l’arrivée d’un Leclerc dans le quartier, Anne écrit simplement en commentaire : qui est intéressé par la décroissance ? Le petit succès de son intervention lui fait franchir un nouveau cap. « J’étais frustrée parce que tous les lieux de transition que je fréquentais autrefois étaient loin de chez moi. Et tout à coup je réalise qu’il y avait plein de monde dans mon quartier qui s’intéressaient à ce sujet. Ça a débloqué un truc et je me suis dit : il faut que je rencontre ces gens. » Elle organise un événement, puis d’autres, et ces rassemblements informels se formalisent peu à peu en un projet associatif. Quatorziens en chemin est né. « C’est devenu un espace de gens qui souhaitent agir. Si je n’avais pas rencontré toutes ces personnes, si je n’avais pas plongé pleinement dans ce milieu, je n’en serais pas là où j’en suis sur ma réflexion aujourd’hui. Pour moi, la transition, c’est aussi une question de rencontres. Si tu ne restes qu’avec des gens qui pensent comme toi tout le temps, tu n’avanceras jamais. »
Un positionnement ultra local
Le collectif se veut un espace ouvert, qui offre aux habitants du quartier « l’opportunité de se rencontrer et de cheminer ensemble » dans leur réflexion écologique. Chacun a son rythme. « Je ne voulais pas d’un truc anxiogène ou moralisateur. Je voulais que chacun se sente à l’aise où qu’il en soit sur le chemin. Moi, je fais de mon mieux. Activer une quête de perfection dans l’écologie, c’est se faire du mal. » Une volonté qui explique sans doute le positionnement de l’engagement associatif d’Anne, ancré sur les petites initiatives locales plutôt que sur les grandes transformations politiques. « Et en même temps je ne suis pas dupe du fait que l’on culpabilise le citoyen pour ne pas avoir à toucher au reste. Mais mon envie n’est pas que chacun fasse les choses parfaitement à son niveau, ce serait utopique. Je veux simplement contribuer à l’éveil des consciences et à la prise de responsabilité. »
Un engagement qu’elle a mis du temps à qualifier de « politique ». « J’avais une vision très négative de ce mot. Mais depuis j’ai évolué et je peux dire que c’est politique, au sens noble du terme : c’est engager des citoyens dans la vie de leur cité. Moi qui voulais à tout prix ne pas être en lien avec la politique, aujourd’hui je me dis que c’est un moyen d’aller un peu plus loin. » Mais pour cela, il faut du temps, et Anne espère que l’association pourra vivre sans elle. « Ça fait cinq ans que j’ai quitté l’entreprise et quatre que je travaille à temps plein, même si je n’ai pas de rémunération. D’ailleurs ça me questionne sur la valeur donnée au bénévolat et aux actions citoyennes. »
Dans l’intervalle, elle a complètement repensé sa vie professionnelle. « Quatorziens en chemin a été mon bac à sable. Ça a été un lieu d’expérimentation, sans que je le sache vraiment. Il y a eu différentes phases et je me rends compte avec le recul que ces phases ont toujours été en adéquation avec ce que j’étais à ce moment-là. Aujourd’hui je suis coach, et dans ce travail il y a l’idée de permettre à l’autre de s’approprier sa responsabilité, il y a quelque chose de l’ordre de la prise de conscience puis de la mise en mouvement. » Le parallèle est trop évident pour ne pas être fait. Anne ne s’en cache pas. « Quand plusieurs projets sont menés par une même personne, ils ont forcément des échos. »
Il aura fallu du temps, donc, mais Anne semble finalement avoir réussi à mettre en adéquation sa vie professionnelles et ses aspirations personnelles. « Tout ce temps c’était le temps nécessaire. » Lentement, mais sûrement, dit-on.
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