Rémunération, concurrence, sécheresse, administratif : la filière agricole bio étouffe

Par Anaïs Hollard , le 1 février 2024 - 6 minutes de lecture
Champ de tournesol

© Mourad ALLILI/SIPA

Jusqu’à présent légèrement en marge des manifestations du monde agricole, les agriculteurs bio ne sont toutefois pas en reste en matière de revendications. S’ils ne réclament en aucun cas l’allègement des normes environnementales, ils attendent toutefois un véritable et nécessaire engagement de la part du gouvernement en faveur de leurs conditions de vie. 

Les agriculteurs bio face aux marges des distributeurs

Si la contestation des normes environnementales, jugées trop contraignantes par une large partie des agriculteurs, marque la scission entre les acteurs du monde agricole traditionnel et les experts du bio, nombreuses restent toutefois les revendications partagées. « On est en train de crever », résume même une agricultrice bio, symbole d’une filière en crise depuis plusieurs années, qui représente pourtant 14 % des fermes françaises et pâtit des marges de la grande distribution ou de la concurrence « déloyale » des importations sans critères de qualité. Du côté d’Aurore Sournac, 50 ans, maraîchère bio à Eysines (Gironde) qui approvisionne pas moins de dix Associations pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne (AMAP), « C’est l’ensemble de l’agriculture qui se révolte. C’est un ras-le-bol général. La presse fait beaucoup de tapage en disant que le bio est trop cher, mais elle ne va pas au fond du problème, à savoir la grande distribution qui prend trop de marge dessus. La tomate bio en gros est au même prix que la tomate conventionnelle, mais vous la retrouvez en grande distribution à 5 ou 6 euros le kilo. Qui a fait la marge ? La grande distribution. Et à côté de ça les agriculteurs crèvent ».

Pour Téo Boutrelle, 34 ans, maraîcher bio sur 5 hectares avec son frère et trois salariés en Aveyron, à l’ouest de Rodez, « ce n’est pas normal d’être à flux tendu en permanence. Nos salariés mériteraient de meilleurs salaires. Ils sont tous à 25 heures par semaine et à 14 euros de l’heure. Le plus dur pour nous, ce sont les importations qui viennent déstructurer le marché, produites à bas coût social et environnemental. Il faudrait instaurer des taxes à l’importation pour qu’il y ait un prix minimum d’entrée des produits dans le pays qui corresponde aux coûts de production français ».

La charge administrative des agriculteurs

Pour certains acteurs du bio, c’est la charge administrative qui fait débat. À l’image de Dominique Gaborieau, 45 ans, céréalier sur 400 hectares à Genouillé (Vienne), lauréat 2022 du « Trophée de l’agroécologie » du ministère de l’Agriculture. Selon lui, « plus on se certifie, plus il y a d’administratif […] Les démarches administratives sont très lourdes au quotidien, pour moi c’est au moins huit heures par semaine. C’est beaucoup. Plus on se certifie, plus on cumule d’administratif, en prétendant à des aides, à des labels […] On essaie d’être moins dépendants des énergies fossiles, de travailler avec des éleveurs (pour l’épandage) […] il faudrait peut-être rendre des formations obligatoires chez les agriculteurs pour prendre conscience qu’il y a des choses à faire évoluer sur nos exploitations ».

Un constat largement partagé par l’ensemble des agriculteurs, bio ou non. C’est le cas de Gwenaëlle Desrumeaux, présidente des Jeunes agriculteurs de l’Oise : « la charge administrative. Quand on parle avec nos collègues agriculteurs, on se rend compte qu’on est tous condamnés à consacrer une journée par semaine à la paperasse. Et aussi le revenu : on demande des prix plus cohérents, notamment vis-à-vis de l’augmentation des charges et du manque de visibilité qu’on peut avoir ».

Vers la reconnaissance du bénéfice environnemental du bio

Si bon nombre d’agriculteurs se soulèvent contre les normes environnementales imposées au secteur, pour certains agriculteurs bio, le problème est ailleurs, comme le rappelle Francis Larrea, 51 ans, maraîcher bio et arboriculteur sur 5 hectares à Mendionde (Pyrénées-Atlantiques) et président de l’association de transition agroécologique BLE Civam Bio du Pays basque : « quand on voit sur les plateaux TV des responsables qui sont souvent des gros céréaliers de la FNSEA, ils parlent de normes environnementales, des 4 % de jachère et du gazole non routier (GNR)… Mais pour nous, ce ne sont pas les seuls soucis. On défend plutôt le respect de la loi EGalim, comme l’objectif de 20% de bio dans les cantines, et l’arrêt des traités de libre-échange […] Nous, on demande aussi que soient reconnus les bénéfices environnementaux de nos pratiques. On protège les captages d’eau, la biodiversité… ». L’agriculture biologique permet en effet, par ses pratiques, de protéger les espèces et de restaurer des écosystèmes terrestres.

Les efforts réalisés par ces agriculteurs engagés ne sont toutefois pas récompensés sur le plan financier et ce, malgré les difficultés inhérentes aux conditions climatiques. « La sécheresse sévit depuis bientôt trois ans […] On ne sait pas ce qu’on va devenir cette année. Les mesures [du gouvernement] ont été faites par des gens qui sortent de l’ENA, qui ne connaissent rien au terrain. A court terme, on voudrait que tout soit gelé, une année blanche, ne pas payer de MSA (mutualité sociale agricole) ou de remboursement de prêts, rien. On n’a même plus d’argent pour acheter du foin. L’eau devrait être pour tout le monde [mais] actuellement ce sont les gros qui pompent à mort. Nous, les petits paysans, on est en train de crever », rappelle  Virginie Morin, 46 ans, éleveuse de brebis en bio sur 55 hectares dans les Pyrénées-Orientales et co-porte-parole départementale de la Confédération paysanne.

Si l’ensemble des revendications ne sont pas partagées entre la filière agricole traditionnelle et la filière biologique, nombre d’entre elles sont toutefois identiques. Reste à voir quels efforts sont prévus de la part du gouvernement.

(Avec AFP)

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Anaïs Hollard

Captivée par les sujets liés à l’énergie, Anaïs a longtemps collaboré avec de grands acteurs du secteur, avant de choisir la voie de l’indépendance, en tant que journaliste web. Aujourd’hui, elle continue de délivrer son expertise en matière d’énergie et de transition écologique. Ses passions : la lecture, l’écriture (forcément) et les DIY créatifs !

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