Répression des militants climat : peut-on manifester sans risquer le couperet ?

Par Gaëlle Coudert , le 15 février 2024 — Protection de l’environnement - 6 minutes de lecture
Répression des militants climat

Samedi 3 octobre 2020, de nombreuses interpellations ont eu lieu, lors d’une action menée par des activistes de plusieurs associations dont Greenpeace et Alternatiba à l’aéroport Roissy Charles de Gaulle, Crédit photo : Julien Helaine/Hans Lucas via AFP

Les actions des militants pour le climat font la une, leur répression aussi. On fait le point sur les sanctions que risquent les participants à des actions de désobéissance civile, et leur sévérité dénoncée à de nombreux égards.

Greta Thunberg en procès à Londres début février, amendes requises la semaine dernière contre des activistes de Greenpeace qui avaient repeint en vert un avion d’Air France, 1000 arrestations aux Pays Bas lors d’une manifestation pour le climat le 3 février 2024, interpellation et garde à vue pour les militantes de Riposte Alimentaire qui ont aspergé La Joconde de soupe au Louvre fin janvier… L’actualité de ce début d’année est riche d’exemples de répression à l’égard des militants pour le climat, partout en Europe. 

Une répression jugée trop sévère par beaucoup, dénoncée récemment par Michel Forst, le rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des défenseurs de l’environnement, interrogé par RFI. Dans cette interview, il fait d’abord référence aux sanctions prononcées au Royaume-Uni. « Un militant pacifique pour le climat qui a participé à une marche lente – c’est-à-dire qui a essayé de bloquer le trafic pendant trente minutes – a été condamné à six mois de prison. Depuis 1930 en Grande-Bretagne, on n’avait jamais connu de condamnation aussi sévère pour un acte de manifestation » a-t-il relevé. 

Peut-on toujours manifester ?

Cette augmentation de la sévérité des sanctions à l’égard des manifestants pour le climat et l’environnement n’est pas, ajoute-t-il, cantonné à ce pays. « En France comme en Allemagne, en Suisse, en Italie, en Espagne, au Portugal, au Danemark comme ailleurs, la répression contre les militants du climat augmente et le sentiment qu’on a, c’est que les États se copient les uns les autres, copient les mauvaises pratiques sur le plan policier, sur le plan judiciaire. Et c’est un sujet de préoccupation majeure pour les Nations unies qui voient progressivement s’éroder la liberté de manifestation en Europe », a-t-il expliqué à RFI.

En 2021, Amnesty International demandait déjà la protection du droit de manifester en France, en adressant au gouvernement une pétition intitulée « Manifestants, pas criminels » ayant recueilli plus de 100 000 signatures, demandant au Président de la République, Emmanuel Macron, de protéger le droit de manifester et de faire cesser les arrestations de manifestants pacifiques. « Personne ne devrait craindre d’être arrêté et placé en détention simplement pour être descendu dans la rue exprimer pacifiquement une revendication : cela relève de la protection de la liberté d’expression et du droit de manifester », rappelait alors Cécile Coudriou, présidente d’Amnesty International France. 

« Répression par anticipation »

Laura Monnier, responsable juridique de Greenpeace France, interrogée par Deklic, évoque une « forme de répression par anticipation, c’est-à-dire, avant qu’un délit ne soit commis ». Elle consiste dans « le renforcement de la police administrative », par exemple via des assignations à domicile pour motif d’ordre public, « parfois très flou ». « On l’a aussi observé récemment avec les militants européens qui ont eu des obligations de quitter le territoire français, à la suite d’une manifestation devant le ministère de la Transition énergétique que l’on a faite en fin d’année dernière. » Une première pour l’association, qui n’avait pas encore eu à faire à ce type de « dissuasion » prononcée par le Préfet.

Défendre la liberté d’expression

En raison de leur absence de fondement juridique, dans la plupart des cas, « ces ordonnances sont ensuite annulées par le juge administratif », tempère Laura Monnier. Mais un tel dénouement suppose d’intenter une action en justice pour contester l’acte administratif, « ce qui implique de pouvoir se défendre ».

Débâchage de mégabassines, intrusion dans des centrales nucléaires, jets de soupe ou de sauce tomate sur des œuvres d’art… Certaines actions sont en elles-mêmes illégales, mais peuvent parfois susciter la clémence du juge. « On obtient parfois des relaxes du juge même pour des actions illégales, souligne Laura Monnier. Il y a une sensibilité qui prend au fur et à mesure sur les sujets environnementaux et sur la façon de faire les actions illégales. Mais c’est vrai que notre façon de faire (celle de Greenpeace – ndlr) implique la non-violence et peu de dégradations en général. Devant un juge, on arrive à expliquer la méthode utilisée et le fait qu’on ait gêné le moins possible l’ordre public. Ça permet d’obtenir des relaxes, ce qui est une victoire pour la liberté d’expression et la désobéissance civile. »

« Les juges ne vont en revanche jamais relaxer des personnes qui se sont par exemple introduits sur des sites industriels ou dangereux. Les juges nationaux comme européens vont analyser la proportionnalité de l’action », précise la responsable juridique de Greenpeace France. Mais les peines peuvent, selon les cas, rester symboliques : amendes d’un montant d’un euro ou absence d’inscription au casier judiciaire.

Sur des sujets brûlants, comme le nucléaire ou les méga-bassines, « on constate les peines les plus fortes », partage Laura Monnier. « Ce sont des sujets sensibles qui entachent l’image de la France au niveau international », analyse-t-elle.

Protéger les activistes

Ces dernières années, Greenpeace France fait de la protection de ses activistes un cheval de bataille, en recourant autant que possible à des actions en justice lorsque des décisions administratives paraissent infondées. « On est déjà allé en cassation (dernière instance après l’appel – ndlr) pour une amende à 135 euros, se rappelle Laura Monnier. On se dit qu’on a quand même ce rôle de prendre des avocats pour le principe de faire censurer certaines amendes prononcées parfois automatiquement. »

« On a de la chance parce qu’on a des avocats, on peut être vocal. Mais un militant tout seul ne va pas forcément pouvoir faire toutes ces démarches, qui sont pourtant essentielles parce qu’elles visent à protéger des libertés individuelles. » Selon elle, ce recours à la justice pour défendre les activistes devient plus fréquent. « La médiatisation a permis que les organisations qui font de la désobéissance civile se défendent mieux et automatiquement. »

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Gaëlle Coudert

Ancienne avocate parisienne reconvertie en journaliste basée dans les Pyrénées-Atlantiques, Gaëlle s’est spécialisée sur les sujets liés à l'écologie. Elle a cofondé le magazine basque Horizon(s), a été rédactrice en chef d'ID, l’Info Durable et rédige aujourd’hui des articles pour divers médias engagés dont Deklic. Ses passions : le sport (surf, yoga, randonnée) et la musique (guitariste et chanteuse du groupe Txango)

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