Volte-face : Antoine, ex-ingénieur devenu référent carbone : « J’espère que mes choix iront toujours dans le sens de l’action. »
Après des études d’ingénieur et sept ans dans l’ingénierie commerciale autour des imprimantes 3D, Antoine Duny a repris ses études pour aligner son métier avec sa prise de conscience écologique. Aujourd’hui, il accompagne les entreprises dans la réduction de leur empreinte carbone.
À l’entendre parler, on jurerait qu’il fait ça depuis toujours. Quand il s’agit d’empreinte carbone, Antoine Duny sonne comme un vieux briscard. Le regard est légèrement fuyant par timidité, la voix trainante, mais le propos sûr et construit. Il explique, réexplique, au besoin reformule ou simplifie. Conclut d’un trait d’humour bien senti. Et dans les yeux en face, l’étincelle de celui qui a compris. La prise de conscience se diffuse ainsi, peu à peu, et avec elle l’envie d’agir. Il faudra actionner un nouveau levier, accompagner cette envie pour la transformer en actions réellement utiles. En mesurer l’impact et ajuster. Là encore, Antoine saura faire.
Du vieux briscard, Antoine Duny n’en a pourtant que l’apparence. Car son poste de référent carbone chez Manergy, une entreprise d’ingénierie et de conseil en transition énergétique et environnementale, il ne l’occupe que depuis 18 mois. Et son diplôme de spécialisation en environnement et Éco-Efficacité Énergétique n’a pas fêté son deuxième anniversaire. À 34 ans aujourd’hui, il débute à peine sa deuxième vie.
Quelques graines, puis un mur
La première, construite dans son Béarn natal, n’occulte pourtant pas la chose écologique, déjà présente grâce à ses parents. « Mon père m’emmenait souvent en balade en montagne, et il y avait toujours, en toile de fond, l’amour et le respect de l’environnement, une sensibilité de cet ordre. Mais il n’y était pas question d’urgence écologique ou de réchauffement climatique. C’est des choses qui ont infusé lentement dans la société, plus tard. Donc il y avait une petite pierre de posée, mais rien à voir avec la conscience acquise plus récemment. »
Diplômé à 24 ans, Antoine Duny décroche un premier travail, à Madrid, dans l’impression 3D. Puis il rentre en France, exerce à Paris et à Lyon comme ingénieur commercial. « Ma mission est de bien comprendre les projets des clients sur le plan technique, pour leur proposer les solutions les plus adaptées possibles, que soit des équipements ou de l’accompagnement ingénierie. Il y a une promesse écologique, on parle d’utiliser l’impression 3D pour faire de l’allégement de structure, ou avoir des designs plus légers, mais l’impact est assez faible. In fine, il faut signer des contrats commerciaux, avoir des commandes. » Un objectif dont le Palois se passerait bien. « Mon travail a contribué à lancer ma réflexion. J’ai réalisé que ce que je faisais consistait principalement à apporter des solutions technologiques, qui finalement n’arrêtaient pas le productivisme, au contraire. »
Amis et internet pour nourrir la réflexion
Si le décalage commence à apparaître, c’est qu’autour d’Antoine, d’autres ont choisi des voies différentes, « notamment deux amis proches qui travaillent déjà dans le domaine énergétique, qui ont des billes sur ce que ça implique, et avec qui je discute beaucoup ». Ces échanges provoquent un nouveau tournant, et la réflexion va ensuite trouver de quoi se nourrir dans la masse d’informations disponibles en ligne. « J’ai commencé à regarder des vidéos de vulgarisateurs, je me suis intéressé au travail de scientifiques, j’ai écouté les conférences de Jean-Marc Jancovici… » La transformation opère, peu à peu. Si Antoine évoque une prise de conscience « assez rapide », comme en témoigne son regard déjà très critique sur la COP de Paris en 2015, soit deux ans seulement après le début de sa vie professionnelle, l’infusion se prolonge tout de même sur sept ans. « Il y a d’abord un gros travail sur la compréhension des enjeux, et une vague de discussions sur les manières d’améliorer les choses. Puis il y a un déclic plus profond, quelques années plus tard, quand je me rends vraiment compte de l’ampleur et de l’urgence. C’est là que je décide d’agir. »
Cette prise de conscience n’a jamais plongé Antoine dans l’éco-anxiété, l’angoisse contemporaine qui touche 58 % des Français âgés de 16 à 25 ans, selon une étude parue dans The Lancet Planetary Health en 2021. « Ça a plutôt enclenché la volonté de faire quelque chose. Je me suis tout de suite dit : c’est très compliqué, mais il faut faire le maximum pour atténuer le truc. Il y avait un peu de fatalisme, peut-être parce que je suis d’un naturel un peu blasé, mais avec l’espoir que ce ne soit pas aussi catastrophique que ça peut potentiellement l’être. En tout cas, faire le maximum pour que ça soit le moins grave possible. »
Un virage payant
Ses parents, s’ils avaient contribué à déclencher la fibre dans l’enfance, sont cette fois-ci plus effacés. « Je n’en parlais pas trop avec eux. On avait des discussions sur la question écologique, mais très peu sur mes envies de bifurquer. Je ne pense pas qu’ils auraient pu m’apporter quelque chose de plus sur le sujet, et d’un autre côté je ne voulais pas les inquiéter, ou qu’ils me freinent par peur. J’ai préféré arriver avec un projet déjà concret et enclenché. Je les ai mis devant le fait accompli. »
C’est donc seul qu’il prend la décision de quitter son travail et de reprendre des études. Seul qu’il cherche et trouve la formation correspondant à son nouveau plan. Seul qu’il y postule, en construisant un projet professionnel orienté vers « la réduction des émissions carbone », tout en se laissant « la liberté de dévier » en cas de nouvelles découvertes au cours de cette scolarité. « Pendant la formation, je sens que je suis au bon endroit. Idem pendant mon stage de fin d’études, puis lorsque je commence mon nouveau travail. Tout confirme mon choix. » Sans pour autant tomber dans la béatitude. « Je conserve un recul critique. Je vois bien que ce n’est pas parfait. Mais ça aligne mes valeurs avec ce que je fais professionnellement au quotidien. »
Aujourd’hui, Antoine a un nouveau métier : il est ingénieur environnement. Dans sa boite, il est le référent carbone. « Je fais l’état des lieux de l’empreinte carbone d’un établissement, public ou privé, puis je propose et je mets en place des actions de réduction de cette empreinte. » On serait tenté de dire qu’il a trouvé sa place. Ce qui, pour lui, fait sens. Grâce à une bifurcation qui n’a rien eu de magique. Il ne s’est pas agi d’une révélation, qui a tout changé du jour au lendemain, mais d’une prise de conscience lente, nourrie et construite pendant des années, avant de se manifester concrètement par ce changement professionnel majeur.
Pourquoi comme ça et pas autrement ? Pourquoi choisir l’entreprise comme lieu d’impact, plutôt qu’un engagement militant plus radical, ou une retraite plus individuelle ? « Je suis plus à l’aise dans le dialogue et la discussion, mais les actions radicales sont tout aussi utiles. Elles permettent d’élargir la prise de conscience, et vont faire apparaitre d’autres actions comme plus modérées, et donc y faire adhérer les gens plus facilement. C’est complémentaire d’aller au contact des gens pour leur faire comprendre le problème, comme je le fais, même si c’est fastidieux. Parce que si on veut faire quelque chose, si on veut y arriver, on aura besoin de tout le monde. »
Une position définitive ? « Peut-être qu’un jour, j’en aurais marre de voir que ça n’imprime pas dans la tête des gens, et que je basculerai dans quelque chose de plus radical. Mais pour l’instant je crois encore à ce dialogue-là. » Quant à la tentation d’une résignation plus ou moins joyeuse ? « J’espère que je ne tomberai pas dans le truc de l’abandon, de dire “démerdez-vous” et de me casser faire ma vie autrement. J’espère que mes choix iront toujours dans le sens de l’action. »
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