Volte-face : Baptiste Devos, de la com’ à la bière artisanale
Après avoir longtemps exercé dans le marketing, Baptiste Devos a bifurqué pour travailler dans un univers qui le faisait rêver. Aujourd’hui, il dirige une brasserie artisanale près de Reims, dans la Marne. Il nous raconte comment il est passé du digital au houblon.
Baptiste n’est pas très loin de la Py, petite rivière de Champagne. Celle-ci prend sa source à Sommepy-Tahure, commune située dans la Marne, au sein de la région Grand Est. C’est dans cette localité, entre Reims et Châlons-en-Champagne, qu’il a intégré en 2018 l’équipe de la brasserie artisanale d’Orgemont. « La commune est dynamique. » Au village, se félicite-t-il, sourire en coin, les commerces ne manquent pas : outre l’auto-école, les 700 habitants bénéficient d’un coiffeur, notamment.
« On peut parler de bifurcation. » Depuis des années, Baptiste rêvait d’évoluer dans le secteur de la bière, une boisson qui le fascine pour ce qu’elle représente. « Aujourd’hui, même s’il peut y avoir du stress, j’ai trouvé ma place, je n’ai pas l’impression de travailler. »
Mais il en a mis, du temps, avant de dégoter sa voie. En 1998, un master obtenu sur les bancs de l’Edhec business school à Lille, il entame une carrière en région parisienne dans le marketing et se fait embaucher par des agences. « J’ai accompagné durant une quinzaine d’années des grands groupes dans le domaine du digital, le rythme a été très soutenu… » Or, au bout d’un moment, il se lasse de son activité. « Je courais partout. J’arrivais à 40 ans, je commençais à me questionner sur mon parcours, sur ce qui me restait à accomplir durant ma carrière professionnelle. J’avais envie d’avoir plus d’emprise sur ce que je faisais. »
Goût de l’aventure
Baptiste, aujourd’hui père de trois garçons, en avait « marre d’être enfermé dans un bureau ». Et puis il ressentait, tout doucement, un besoin de « ralentir ». Une mauvaise expérience et, hop, il décide de tout arrêter. « J’avais envie de me poser et de faire le point. On a de la chance en France, souligne-t-il. Via le système de chômage, il est possible de prendre du temps pour soi en vue de chercher sa route, et puis de rebondir. »
Adepte de voyages, il avait réalisé un tour du monde en 2002 avec sa compagne durant lequel ils avaient visité une partie de l’Asie, de l’Océanie et l’Amérique du Sud. « Et on avait envie de transmettre ce goût de l’aventure à nos trois enfants. » Ainsi, en famille, ils ont mis en location leur maison à Montreuil, en région parisienne, pris leur sac à dos, puis ils sont partis, tous ensemble, pour découvrir l’Inde, le Sri Lanka, la Malaisie, le Cambodge, la Thaïlande et le Japon. Un voyage d’exploration et d’initiation de six mois. « Les enfants ont beaucoup aimé, à l’époque ils avaient 11, 7 et 4 ans. Le plus jeune a marché autant que nous… » Le matin, les trois garçons suivaient le programme scolaire, notamment pour les matières principales, l’après-midi, ils sillonnaient les chemins des pays visités avec leurs parents, en prenant les transports collectifs, le plus possible. « Cela leur a donné l’opportunité de parler anglais, de faire de la géographie en voyageant, d’ouvrir les yeux sur la situation de l’autre côté du continent… »
Agroforesterie
De retour en France, Baptiste a fini par se trouver une place. Après une première tentative avortée pour lancer une brasserie en Champagne-Ardenne, les choses se sont mises en place grâce au hasard des rencontres.
En 2017, à la foire de Châlons-en-Champagne, il croise la route de Jean-Bernard Guyot, le fondateur, en 2001, de la brasserie d’Orgemont. « Au bout de quinze ans, lui, le fils d’agriculteurs, désire se recentrer sur l’exploitation familiale dont il s’occupait en parallèle. Et il avait besoin de quelqu’un pour diriger sa brasserie. » Baptiste saute sur le pas, s’engage.
Désormais, la brasserie d’Orgemont utilise, pour ses recettes, une partie de ce qui pousse « en bio et en agroforesterie » à la ferme de la famille Guyot : du malt Pilsen issu de l’orge, plusieurs variétés de houblons, ainsi que quelques fruits tels que cassis et groseilles. « Nous achetons également du malt et du houblon ailleurs, en France et en Europe. »
Démarche écologique
Typiquement, Baptiste ne veut pas utiliser de houblons américains ou néo-zélandais. Une volonté de limiter l’empreinte carbone. Car l’idée est bien là aussi : mettre en place un projet en cohérence avec ses valeurs écologiques qu’il dit avoir toujours ressenti. « J’ai voulu qu’on fasse différemment, nous avons de la chance d’avoir un terrain. » L’objectif, ainsi, est de tenter de « se démarquer » et de cibler des amateurs de bières de qualité, touchés par « la démarche écoresponsable complète ».
Car lui ne veut pas s’arrêter en si bon chemin. Sur l’entrepôt de la brasserie, il y avait déjà un panneau solaire, il en souhaite d’autres. En outre, le directeur associé et ses trois collègues s’apprêtent à installer un système de récupération de l’eau de pluie, mais aussi de l’eau qui a servi à la fabrication des bières. « L’eau pourra être utilisée en vue de l’irrigation des houblons de la ferme, qui meurent de soif. »
Les agriculteurs des environs l’observent, les épisodes de sécheresse se multiplient, autant que la hausse des températures, ainsi que les fortes précipitations, catastrophiques pour les cultures. « Alors, il faut se bouger, certains agissent, c’est vrai, mais on devrait être beaucoup plus nombreux… »
Une organisation de travail singulière
Dans la famille, il n’a pas fait volte-face tout seul. Son frère Louis, à Lille, a ouvert une petite boulangerie (Brood) après avoir longtemps exercé le même métier que Baptiste, dans la communication. Désormais, il propose avec son associée des miches naturelles au levain, et les commandes partent via une coopérative de coursiers à vélo. « Le pain, on ne peut l’acheter sur place qu’à partir de 16h30. Ils ne veulent pas se lever au milieu de la nuit comme la plupart des boulangers. »
Les deux frères adaptent les horaires de travail, s’organisent autrement. Tout est parfaitement calé, pour Baptiste.
Nous avons échangé avec lui un mardi. Comme chaque semaine depuis sa « bifurcation », il se trouve dans sa maison, en Seine-Saint-Denis. Du lundi au mercredi, il travaille à distance. « Cela me permet de déjeuner avec mes enfants, de les accompagner à l’école ou aux rendez-vous médicaux. Je ne pouvais pas me le permettre quand j’étais en agence. » Mercredi midi, il file dans la Marne, à la brasserie, mais il rentre avant le week-end. Cela passe vite. De toute façon, Baptiste n’a pas l’impression de « travailler » puisqu’il s’amuse, à Sommepy-Tahure.
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