Volte-face : Esther Scaringella, vers la réduction de l’impact des événements : « Personne ne m’a formée à organiser un événement de manière écoresponsable »

Par William Buzy , le 22 mars 2024 - 7 minutes de lecture
Portrait Esther Scaringella

Portrait Esther Scaringella

Passionnée par la musique, Esther Scaringella a toujours travaillé dans le milieu des événements culturels. Mais sa prise de conscience écologique l’a poussée vers une association dédiée à la réduction de l’impact environnemental des manifestations sociales, culturelles et sportives.

Une passion, quand elle vous prend suffisamment tôt, suffisamment profondément, enclenche souvent une sorte de pilote automatique qui guide les choix de vie. Pour Esther Scaringella, c’est la musique qui a présidé à bien des décisions. Ses études à Grenoble, Lyon puis Londres. Son sujet de mémoire sur les inégalités femmes-hommes chez les DJ. Ses engagements bénévoles « dans tous les festivals possibles et imaginables ». Ses premières expériences professionnelles auprès de festivals ou de salles de concert. Jusqu’à son poste confortable dans une startup « qui accompagne les événements dans la mise en place d’une solution de paiement cashless ». 

« Chez nous, la musique était importante, se souvient-elle. C’est vraiment ça le cœur de notre famille, c’est présent dans toutes les générations. Notre éducation a toujours tourné autour de la musique. » L’écologie, à ce moment-là, n’est pas réellement dans le radar. « Dans mes souvenirs, il y a des choses autour de l’alimentation, ma mère cuisinait beaucoup, on avait l’habitude d’aller au marché, d’acheter local, de saison. Je n’ai jamais mangé une fraise en hiver. Mais ce n’était pas un sujet hyper présent. On en parlait un peu, mais on n’avait pas accès à de l’information comme aujourd’hui. »

Sa première vie professionnelle répond parfaitement à ses attentes. « Je voulais faire de la production événementielle et je voulais travailler dans l’industrie de la musique. Toutes mes études et mes expériences ont tourné autour de ça. C’est vraiment le truc qui me fait vibrer. » La question environnementale, absente de l’équation au moment du choix des études et des premières recherches d’emploi, va s’inviter dans la discussion par un biais relativement inattendu. 

Le déclic par la bouclette

Ce sont les cheveux d’Esther qui vont la pousser dans une réflexion qui, jusqu’ici, ne l’avait pas effleurée. « J’ai les cheveux bouclés et c’est une galère pas possible de s’en occuper de manière naturelle. Donc, j’utilise beaucoup de produits. Petit à petit, j’ai cherché les choses les moins nocives pour moi, et en faisant des recherches, j’ai compris que tout ça était aussi très nocif pour la planète… » Les perturbateurs endocriniens, entre autres joyeusetés, font leur apparition dans les considérations quotidiennes d’Esther, qui multiplie les alternatives cosmétiques naturelles. Une habitude qui va s’étendre dans de nouvelles strates de sa vie.

« Petit à petit, ma façon de vivre a été modifiée, que ce soit dans mon alimentation, mes cosmétiques ou mes produits d’entretien. Ça reste quelque chose de très personnel, très axé sur ma vie quotidienne et sur le soin apporté à mon corps. » Mais la porte ainsi entrouverte ne se refermera pas. Le sujet, dans le milieu de l’événementiel, n’est « pas encore très développé ». Mais apparaît tout de même, peu à peu. « J’ai travaillé dans une petite salle de spectacle à Villeurbanne, pour qui c’était un sujet. On faisait une partie restauration bio et locale, on essayait au maximum de faire venir des artistes locaux, ou de faire attention aux déplacements des artistes qui venaient de plus loin… »

Un challenge quand on découvre ces enjeux. « Je n’étais pas préparée à ces questions. Pendant mes études, personne ne m’avait formée à organiser un événement de manière écoresponsable. » Esther, qui sent qu’il y a là « un sujet important à aborder dans le milieu culturel », se penche sur la question, poussée par son frère, qui est confronté aux mêmes problèmes. Et les pions avancent, étape par étape. « Je ne me souviens pas d’un élément déclencheur. C’est venu petit à petit, via ma vie perso, via mon entourage. »

Une « rechute », puis le Covid

La prise de conscience d’Esther va prendre une pause cependant, alors qu’elle est embauchée en tant que chef de projet dans une boîte qui lui permet de faire « le tour de France des événements et des festivals ». Avec le recul, elle évoque une « rechute ». « Je ne me posais plus aucune question. Les équipements venaient de Chine, on achetait des câbles pas chers sur place pour installer, on utilisait des bracelets à usage unique… Tout ça générait beaucoup de déchets. Il n’y avait absolument pas de remise en question sur la partie écoresponsable. Et ça ne m’empêchait pas de le faire. » Jusqu’à l’arrivée du Covid. 

Comme beaucoup, Esther fait le point. Sa réflexion sur les enjeux environnementaux refait surface, et avec elle une idée folle de « tiers-lieu culturel qui accompagnerait les projets émergents et donnerait de la visibilité aux petits artistes ». Cette fois-ci, l’écoresponsabilité est placée au cœur d’un développement qui dure un an, avant qu’un mur économique ne mette fin à cette ambition. C’est son frère, encore, qui attirera son attention sur une offre d’emploi dans une association qui accompagne les organisateurs d’événements dans la mise en place d’actions concrètes pour limiter leurs impacts environnementaux. « Il m’a dit : c’est ce que tu as toujours fait, mais avec en plus les convictions écoresponsables que tu recherches. »

Après un long tâtonnement, le seuil est définitivement franchi. « On cherche, on se renseigne, on essaie de s’améliorer dans notre vie personnelle, et du coup forcément ça développe nos convictions et ça touche le reste. Au bout d’un moment, on n’a plus envie de travailler de la même manière qu’avant. Moi en tout cas, je ne m’imagine pas une seule seconde retourner dans une boîte qui soit créatrice de déchets. » Quand l’opportunité de retrouver son ancien travail s’est présentée, Esther l’a d’ailleurs déclinée. « C’était impossible. Je ne pouvais pas repartir dans une entreprise qui se questionne si peu sur ces sujets, qui ne les met pas au cœur de ses métiers. » 

Un chemin à parcourir à son rythme

Deux ans plus tard, ces convictions ont « pris de l’ampleur », et désormais vies professionnelles et personnelles se nourrissent mutuellement. « Forcément, en étant dans ce milieu, tu es entourée de personnes qui sont toutes sensibilisées. Avec des niveaux différents, certes, mais tu gravites dans un monde où tu construis sans cesse ta réflexion. Il y a des gens pour qui c’est là depuis toujours, d’autres comme moi pour qui c’est arrivé en cours de route, mais travailler dans ce monde m’a permis d’apprendre plein de choses et de faire évoluer mon discours. » 

Ce chemin qui l’a mené jusqu’à cette bifurcation, Esther ne l’aurait pas voulu plus court. « Si c’était à refaire, je referais tout pareil. C’est une démarche personnelle. Chacun doit aller à son rythme. On peut se dire qu’avancer plus rapidement serait mieux pour tout le monde, mais il ne faut pas aller trop vite. Chacun doit se déconstruire, se reconstruire, et on n’a pas tous les mêmes capacités ou le même environnement pour le faire. Avant de devenir collectif, le travail doit être individuel. »

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William Buzy

Écrivain et journaliste, William Buzy a fondé le média Impact(s), spécialisé dans la journalisme de solutions, et fait partie d’un collectif adepte du journalisme littéraire et du documentaire. Auteur de plusieurs romans, il a également publié des récits et des essais sur le journalisme.

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