Volte-face : Raphaël Ducos, de Coca-Cola au bio :  « On a le droit de faire des retours en arrière »

Par William Buzy , le 7 mars 2024 - 7 minutes de lecture
Portrait Raphaël Ducos

Portrait Raphaël Ducos

Lancé sur une voie toute tracée, Raphaël Ducos a quitté La Défense et ses grands groupes pour accompagner les PME et travailler autour de l’alimentation naturelle. De sa bifurcation, il retient la possibilité de se tromper, et encourage les jeunes diplômés à « essayer des choses ».

Quand la prise de conscience environnementale intervient, un gap se creuse. Entre la vie personnelle et la carrière professionnelle, l’un va souvent plus vite que l’autre. Il faut du temps, de la maturité, parfois du courage, pour les remettre à niveau. Cet équilibre, nécessaire quoique toujours précaire, se construit sur la longueur et reste longtemps fragile.

Chez Raphaël Ducos, cette mécanique s’est enclenchée par hasard. Pourtant, sa voie semblait toute tracée. Poussé par un père qui enseigne en classes préparatoires, lui qui « aime bien l’école » emprunte logiquement ce cursus, avant d’intégrer une école de commerce « pour se fermer le moins de portes possibles ». Ses premiers stages en banque ou chez Coca-Cola lui ouvrent les portes d’une carrière très classique. Un détail, cependant, le fait très légèrement dévier.  « Pendant mes études, j’étais président d’une association avec un budget et des événements à gérer, se souvient-il. Ça m’a donné le goût de l’indépendance, des petits projets. J’ai collaboré avec des PME, et ça m’a tout de suite détaché de l’esprit grands groupes, multinationales… »

Nouveau tournant un an plus tard, quand le hasard l’envoie aux États-Unis faire son stage de fin d’études comme ambassadeur d’une marque de produits bios et naturels. « J’étais déjà très sensible à la question de l’alimentation. J’avais appris à bien manger dans mon enfance. Même quand j’étais étudiant, j’avais ce truc de me faire au moins un bon repas par semaine, avec de bons produits, bien cuisinés. Mais là, ça m’a fait réfléchir plus globalement aux produits que j’achetais. » À son retour en France, il change complètement ses habitudes de consommation. Le bio, le commerce équitable et le végétarisme intègrent son quotidien. « Je me suis posé beaucoup de questions sur ces sujets, c’est vraiment un truc qui est rentré dans ma tête. »

Un début de carrière classique

Si sa vie personnelle change, sa carrière professionnelle, elle, débute plus classiquement chez Microsoft, en pleine préparation du lancement de sa nouvelle console de jeu, puis dans un cabinet de conseil de La Défense. Mais très vite, le décalage se fait sentir. « Je voyais bien que ma vie perso et ma vie pro n’étaient pas alignées. Je voulais pousser le curseur plus loin. Aller au bout du truc. » Ces grands groupes, décidément, ne sont pas pour lui. « J’avais une forte sensibilité pour les PME, et par ailleurs je m’étais rendu compte que, sur les questions environnementales, ce sont souvent elles qui innovent le moins. Par exemple sur la question du gaspillage alimentaire, on trouve soit de toutes petites initiatives très micro, soit les gros programmes en grande distribution. Au milieu, les PME sont dépassées : elles manquent de temps, pensent ne pas être structurées pour le faire… »

Raphaël sent donc qu’il peut avoir un impact sur ce secteur, et quitte la défense pour diriger un magasin d’alimentation bio. « J’avais remarqué en faisant mes courses que j’étais toujours très mal conseillé. Les vendeurs ne connaissaient pas les produits. Moi, je voulais apporter aux gens de l’information de qualité sur le bio. » Un virage que certains, dans son entourage, peinent à concevoir. « Tout le monde n’a pas compris. J’avais fait une bonne école, des stages à l’étranger, je bossais dans une belle boite, et je suis parti pour faire de la mise en place de fruits et de légumes tous les matins… Il ne faut pas oublier qu’on parle de 2014. Ce serait peut-être différent pour quelqu’un qui ferait ce choix aujourd’hui, parce qu’en dix ans, on a parcouru un chemin énorme sur ces questions. Mais à l’époque, beaucoup pensaient que je faisais une bêtise. »

Depuis, son entourage a accepté ce choix. Peut-être a-t-il aussi été un peu modifié. « Ça a creusé un gap avec certains, c’est sûr. Le salaire n’est plus le même, le mode de vie change. Et puis, naturellement, tu modifies ton environnement, les gens ne sont plus les mêmes. Ce n’est pas forcément du rejet, c’est juste des champs de vie différents. » La famille, elle, a toujours suivi malgré les doutes. « Ils se posaient des questions, forcément, mais il n’y a pas eu de soucis particuliers. Ils ne m’ont jamais empêché de faire quoi que ce soit, ils ont dit : tant que tu es heureux… »

Se donner le droit à l’erreur

Si l’idée d’aller plus loin lui a déjà traversé l’esprit, Raphaël ne remontera probablement pas plus haut dans la chaîne de production. « J’ai trop de respect pour ce travail. Je sais à quel point c’est difficile. Il y a une différence entre s’amuser à faire son petit potager et devenir exploitant agricole. Un gouffre énorme. C’est un gap que je ne passe pas. Je pense que je suis à ma place. »

Depuis dix ans, les expériences ont défilé mais le cap reste identique. Aujourd’hui, Raphaël l’a enfin trouvé, ce fameux équilibre. Même s’il reste fragile. « C’est important de dire qu’on a le droit de faire des retours en arrière. De ne pas être parfaits. Par exemple, avec ma femme, on est végétariens et on prend le temps de bien cuisiner. Mais l’arrivée des enfants, ça fait quand même exploser deux ou trois trucs… On a réussi à le faire avec le premier, mais à l’arrivée du deuxième, les impératifs logistiques nous ont rendus un peu moins stricts. Au début, c’est dur à accepter, tu as l’impression de renoncer, mais il faut aussi accepter que tes idéaux se heurtent à la réalité concrète du quotidien. »

Il faut tâter, encore. Chercher l’harmonie. Se donner le droit à l’erreur. « Si je devais partager mon expérience avec des plus jeunes, je leur dirais d’essayer des choses, au maximum, et de voir ce qui fonctionne ou pas. Le piège, c’est que tu sors de l’école, tu as des opportunités, tu commences à travailler, alors que la vingtaine, c’est la période pour se tromper. Tu penses toujours pouvoir faire plus tard, mais en avançant tu perds de la souplesse. Et puis pour des gens qui ont notre profil, qui sortent de ce type de formation, il y a toujours des filets de sécurité. Le risque n’est pas si important. »

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William Buzy

Écrivain et journaliste, William Buzy a fondé le média Impact(s), spécialisé dans la journalisme de solutions, et fait partie d’un collectif adepte du journalisme littéraire et du documentaire. Auteur de plusieurs romans, il a également publié des récits et des essais sur le journalisme.

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