Franck Besnier, de la gestion de projet à la facilitation de transition : « Si on n’accompagne pas les gens qui ont la volonté, ils s’essoufflent »

Par William Buzy , le 30 avril 2024 — Volte-face - 7 minutes de lecture
Franck besnier

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Bercé par une enfance au milieu de la nature, Franck a longtemps mis au placard ses rêves par crainte du lendemain. À 40 ans passés, il a finalement franchi le cap et accompagne désormais des structures dans leurs projets de transition écologique ou sociale.

Il n’y avait pas d’écologie mais il y avait le reste. « Un rapport à la terre. » Un attachement à la simplicité. L’enfance de Franck, c’était « aller à la ferme le samedi », vivre à la campagne, avec comme voisins « des champs et des vaches ». En rentrant du collège, on jetait le sac et on filait observer les chevreuils pendant des heures, tapi dans le décor, caché dans les arbres, jusqu’à ce qu’une voix familière supplie de bien vouloir venir à table. « Je ne voyais pas le temps passer. J’étais subjugué par ces animaux-là. Aujourd’hui encore, voir un chevreuil, c’est comme une madeleine de Proust pour moi. » Si rien n’était politisé – ni même conscientisé –, c’est sans aucun doute à ce moment-là qu’un lien particulier au vivant s’est formé.

En grandissant, l’envie de monter une association autour des animaux sauvages ou de devenir ornithologue se fait sentir. « Mais je savais que ce serait compliqué d’en vivre, et je n’étais pas spécialement encouragé à aller vers ces voies. Mes parents étaient loin de tout ça. » Place, donc, aux choix pragmatiques. Le DUT Génie Biologique, d’abord, puis le Master Génie Physiologique et Informatique. Le hasard des stages et des premières opportunités professionnelles fera le reste. Franck devient, « sans vraiment le vouloir », consultant en gestion de projet. « Je pense que ce qui me guidait pas mal, c’était ma volonté d’être indépendant financièrement. Je ne voulais pas être une charge pour mes parents. J’ai fait ce qu’il fallait faire pour trouver du boulot et gagner ma vie. Et pour ça, j’ai dû mettre mes rêves au placard. »

Un équilibre fragile

L’opportunité viendrait peut-être plus tard, en tout cas c’est ce que Franck a pensé à l’époque. Quelque temps après, un projet de volontariat en solidarité internationale mené avec sa compagne lui donne un an de réflexion, dont il espère tirer un déclic. Mais la reconversion devra encore patienter. « Quand on est revenus, ma femme est tombée enceinte, et moi j’ai ressenti le poids de la responsabilité sur mes épaules. Alors j’ai repris un boulot dans une boite de consulting. C’était en 2012. » Franck y restera 10 ans. « C’est passé vite. On a eu un deuxième enfant, la maison, on a passé du temps ensemble, c’était important pour nous. » Son engagement, Franck ne peut pas le vivre à travers son travail. Alors, il cherche d’autres chemins. Dans son mode de vie, dans ses vacances familiales à vélo, dans son engagement associatif. 

L’équilibre est fragile, cependant. « J’essayais de dissimuler mon mal-être en faisant d’autres trucs à côté, mais j’avais l’impression de perdre mon temps. Parfois, je disais même que je perdais ma vie au travail. Quand il y avait une nouvelle mission, le goût de la nouveauté permettait de masquer un peu la chose, mais je sentais bien que je ne pourrais pas tenir indéfiniment. » Alors qu’il s’enlise dans une mission de contrôle de gestion, Franck commence à s’intéresser à la méthode agile en informatique (une pratique qui met en avant la collaboration entre des équipes autoorganisées et pluridisciplinaires et leurs clients), et fait le lien avec un atelier auquel il a participé lors du lancement d’un projet de permaculture. « J’aimais cette réflexion sur la prise de décision et l’autonomisation des personnes. Et puis il y avait quelque chose autour du lien humain qui me touchait également. »

Un premier stage d’initiation en facilitation de l’intelligence collective, puis une formation plus complète auprès de Thomas Emmanuel Gerard finissent de créer la bascule. « Là je me suis dit : waouh, c’est exactement ce que je veux faire. En plus, au même moment, j’étais en pleine rupture, donc tout le château de cartes que j’avais construit autour de ma famille et de mon travail s’écroulait. » Franck continue de se former, aborde la codécision et le co-développement, mais surtout découvre un nouvel environnement professionnel. « Je me suis mis à côtoyer des personnes qui faisaient le boulot que je rêvais de faire. »

Une lente bascule

Mais sa nouvelle situation familiale complique la donne sur le plan financier, et il hésite encore à quitter son travail. « Je calculais mes droits au chômage, je me disais : mais comment je vais faire ? J’étais flippé, je n’arrivais pas à me débarrasser de ce poids. » Un moment difficile qui se transformera en élément déclencheur. « Je me suis fait accompagner par un coach pour déconstruire certaines croyances. Je devais reconstruire une nouvelle vie, repartir de zéro. Je n’avais plus rien à perdre. Au pire, ça marchait… »

En parallèle, le fardeau de son travail de consultant atteint un point de non-retour. « À un moment, je n’ai tout simplement plus pu aller au boulot. On m’a parlé de burn-out après coup, je ne l’ai pas ressenti sur le moment car je n’étais pas submergé. C’est juste que j’étais derrière mon ordinateur à paramétrer des tablettes, et j’étais tellement malheureux, c’était affreux. » Son arrêt de travail lui permet de prendre un peu de recul. Il s’entoure de personnes ressources bienveillantes, verbalise ses craintes, cherche à sortir de l’impasse. Très vite, il comprend qu’il ne reviendra pas dans son entreprise. Il est de l’autre côté désormais.

De l’écologie et du lien

La Graine voit alors enfin le jour. Elle avait germé dès 2020, à la suite d’une rencontre. Elle sommeillait, attendait son heure. Et depuis près de 18 mois, donc, elle pousse. Ce projet, c’est « un collectif d’activateurs d’intelligence collective et facilitateurs de transition écologique et sociale ». En clair, La Graine accompagne les projets de transition d’entreprises, d’associations ou de collectivités publiques. « On a quatre grands piliers : la sensibilisation, l’inspiration, l’émergence et l’action. L’idée est de bien comprendre les enjeux de la structure dans laquelle on intervient, de s’assurer que tout le monde ait la même culture sur le sujet, puis de regarder ce qui se fait ailleurs et qui fonctionne pour découvrir d’autres modèles vertueux. Ensuite, on imagine ensemble les solutions adaptées au contexte spécifique dans lequel on est, et on avance vers une mise en place concrète de leviers. »

Et ces actions, Franck les mène partout où on l’invite, ou presque. « Je n’ai pas envie de faire de l’entre soi. J’aime créer des ponts. Je crois qu’il faut être en capacité de parler avec tout le monde. Les gens qui ont déjà conscientisé et lancé plein de choses n’ont pas besoin de moi – même si ça me fait du bien d’y aller quand j’ai besoin de recharger mes batteries. Je préfère travailler avec ceux qui ne sont pas des puristes, mais qui ont la volonté de faire le chemin. Parce que ces gens-là, si on ne les accompagne pas, ils s’essoufflent. » Franck en sait quelque chose. Lui, aura su préserver la bise. Assez pour trouver sa place en tout cas. « Aujourd’hui, je suis aligné. Je ne sais pas ce que deviendra ce projet dans le futur. Mais il est là. Le reste, c’est du bonus. »

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William Buzy

Écrivain et journaliste, William Buzy a fondé le média Impact(s), spécialisé dans la journalisme de solutions, et fait partie d’un collectif adepte du journalisme littéraire et du documentaire. Auteur de plusieurs romans, il a également publié des récits et des essais sur le journalisme.

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