Le financement de la transition écologique, ça se passe comment ?
Lundi 25 septembre, Emmanuel Macron a présenté les grands axes de sa « planification » pour une écologie « souveraine », « compétitive » et « juste ». Dix milliards d’euros supplémentaires seront engagés dans la transition écologique, dont sept seront décaissés dès 2024. Mais qui va la financer ? C’est ce que l’on vous propose de découvrir.
La transition écologique, ça coûte combien ?
Sept milliards d’euros supplémentaires au service du climat. C’est ce qui est prévu dans le projet de loi de finances (PLF) 2024. Au total, 40 milliards d’euros seront alloués au financement de la rénovation énergétique, des transports en commun, des énergies renouvelables et de la transition agricole. Si le chiffre peut paraître impressionnant, il est toutefois bien en deçà de ceux présentés dans le rapport « Incidences économiques de l’action pour le climat » co-signé par les économistes Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz. Commandé par la Première ministre Elisabeth Borne elle-même, celui-ci avait été remis au gouvernement en mai 2023. D’après eux, entre 65 et 70 milliards d’euros supplémentaires sont nécessaires chaque année pour décarboner l’économie, secteurs public et privé confondus. Soit entre 250 et 300 milliards d’euros d’ici à 2030 : c’est le prix à payer pour espérer garder une planète et des écosystèmes naturels en bonne santé.
Qui finance la transition écologique ?
Dans cette transformation économique et sociétale, ces deux secteurs vont devoir se serrer les coudes. « Environ deux tiers de ce surinvestissement vert doivent venir du secteur privé (entreprises et ménages) et un tiers du public (une vingtaine de milliards d’euros), partagé entre l’Etat, les collectivités locales, la Caisse des dépôts » déclare le député européen Pascal Canfin dans une tribune publiée dans Le Monde. Un budget titanesque qui, d’après M. Pisani-Ferry et Mme Mahfouz, pourrait être alimenté par un alourdissement de la dette publique et une hausse des prélèvements obligatoires. Mais ces deux options ont été écartées sans traîner par le ministre de l’Économie Bruno Le Maire. « N’ayons pas cette paresse intellectuelle de l’augmentation systématique des impôts et des taxes, ça n’est pas la solution », avait-il déclaré début juillet, lors des Rencontres économiques d’Aix-en-Provence. Après l’échec de la fiscalité carbone et de la Convention citoyenne pour le climat, quelle est-elle, cette solution à mettre en œuvre ?
Quelles solutions de financement sont envisagées ?
Le redéploiement des dépenses budgétaires publiques est l’une des premières sources de financement de la transition écologique. Mais au vu des milliards à dénicher chaque année, ce ne sera pas suffisant. Voici d’autres moyens – une formation de plusieurs mesures et engagements de la part de différents acteurs – visant à rassembler les ressources nécessaires.
1. La réduction des dépenses liées aux énergies fossiles
« Les nouveaux investissements pour la décarbonation devront s’accompagner d’une transformation des investissements actuels et d’une réduction des dépenses dommageables » à l’environnement, avait annoncé Bercy en mai dernier, lors d’une réunion avec les élus locaux. En s’appuyant sur son « budget vert », le Ministère estime que « les dépenses défavorables de l’État sur au moins une dimension environnementale » s’élèvent à près de 22 milliards d’euros en 2023. En principe, l’Exécutif devrait redéployer ces crédits pour financer des dépenses en faveur de la transition écologique et énergétique.
Comme annoncé le 27 septembre, la fin du bouclier énergétique va également permettre à l’Etat de faire des économies. Si pour le gaz, c’est déjà fini depuis fin juillet, ce dernier prend actuellement en charge « 37 % de la facture d’électricité des Français » selon la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher. Au total, dix des seize milliards d’euros d’économies prévus dans le budget 2024 viendront directement de l’extinction progressive du bouclier tarifaire pour l’électricité d’ici à fin 2024. Reste à savoir s’ils seront réinjectés en faveur de l’environnement.
2. La taxation des industries de transports polluantes et la fin des avantages fiscaux « bruns »
En 2024, le gouvernement veut instaurer une « taxe sur les grandes exploitations d’infrastructures de transport de longue distance » : les grandes concessions autoroutières et les grands aéroports. Cette nouvelle mesure nationale devrait rapporter près de 600 millions d’euros annuels pour financer la mobilité de demain. Du côté des billets d’avion, l’exécutif fait en revanche machine arrière. Aucune taxe additionnelle ne sera ajoutée en 2024, la démarche n’est plus d’actualité.
En parallèle, l’Etat prévoit de s’attaquer au démantèlement des « niches brunes », ces avantages fiscaux qui encouragent l’utilisation d’énergies fossiles. C’est le cas de celui sur le Gazole non routier (GNR) utilisé par l’agriculture et les travaux publics qui, selon Bercy, disparaîtra progressivement d’ici à 2030. « Toutes les recettes fiscales brunes, à l’euro près, iront vers la transition écologique et vers le verdissement de notre économie », a assuré M. Le Maire.
3. La mobilisation de l’épargne privée
Réuni pour la première fois début juillet, le comité du financement de la transition écologique (CFTE) planche sur une stratégie pour impliquer les capitaux privés. Pour se rapprocher du montant avancé par Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz, « l’enjeu c’est de trouver 60 à 70 milliards d’euros par an » avait résumé Bruno Le Maire. Ces fonds viendraient en complément des financements publics supplémentaires pour « atteindre des objectifs de transition écologique et énergétique de l’appareil de production, de développement de nouvelles industries plus vertes sur tous les territoires et d’indépendance énergétique » comme indiqué sur le communiqué de presse du CFTE du 12 juillet.
En s’appuyant sur les conclusions d’un rapport de l’Institut de la finance durable (IFD) et dans le cadre du projet de loi Industrie verte, le gouvernement propose un certain nombre de mesures visant à rediriger les investissements et l’épargne des Français vers des projets bas-carbone. Parmi elles : la mise en place d’un plan d’épargne Avenir Climat, le verdissement des principaux dispositifs de garantie de Bpifrance couplé à un recentrage du prêt vert, la révision des labels financiers, la modernisation du Plan d’épargne logement (PEL) ou encore le renforcement de la contribution du Livret de développement durable et solidaire (LDDS).
4. L’engagement de la Caisse des Dépôts
Le 20 septembre, la Caisse des Dépôts s’est dite prête à aligner 20 milliards d’euros chaque année sur cinq ans pour financer la planification écologique gouvernementale et « participer à l’atteinte de la neutralité carbone par la France ». Un total de 100 milliards d’euros d’ici à 2028, dont environ 28,5 milliards d’euros viendraient des fonds d’épargne réglementée. Rappelons que l’institution financière gère 60 % des fonds du Livret A et du LDDS, dont les encours s’élevaient à 550 milliards d’euros à la fin du mois d’août. Au niveau de la distribution des fonds, environ 66 milliards prendront la forme de prêts, 19 milliards d’euros celle d’investissements et le reste sera de la gestion de portefeuilles, selon Les Echos.
5. L’effort des collectivités territoriales
Pour financer ce grand chantier, les communes aussi vont devoir mettre la main au porte-monnaie. Fin juin, dans un entretien accordé à la Gazette des communes, Elisabeth Borne affirmait que « la solution n’est pas de financer la transition écologique uniquement en s’endettant : le levier de l’autofinancement, avec des soutiens financiers, est la meilleure voie pour les collectivités ». Si la Première Ministre assure que « l’Etat restera aux côtés des collectivités » au travers notamment du « Fonds vert », elle compte sur les élus locaux pour « préserver leur autofinancement et investir dans leur territoire ». Cette capacité d’autofinancement, c’est-à-dire l’excédent dégagé entre leurs recettes et leurs dépenses de fonctionnement, est le premier des leviers de financement de l’investissement des collectivités territoriales.
… Et quelles solutions sont envisageables ?
Si cet ensemble de solutions va dans le bon sens, pour beaucoup, elles sont jugées bien insuffisantes. « Pour atteindre nos objectifs pour 2030 et viser ainsi la neutralité en 2050, il va nous falloir faire en dix ans ce que nous avons eu de la peine à faire en trente ans » rappellent Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz. Les efforts provenant du monde de l’entreprise semblent notamment manquer à l’appel. « 47 % des dirigeants et 49 % des personnes en activité professionnelle estiment que leur entreprise n’est pas engagée sur les enjeux climatiques » d’après la nouvelle édition du Baromètre Viavoice-Le Figaro-BFM. Pour renflouer les caisses destinées à la transformation écologique, toutes les idées sont donc bonnes à prendre. Le 26 septembre, un duo de députés majorité-opposition en propose une : mettre en place une « taxation exceptionnelle » et « temporaire » sur le patrimoine des contribuables les plus riches au niveau européen. Gain potentiel : 150 milliards d’euros sur 30 ans.
« 92 % de la masse de patrimoine brut est détenue par la moitié la mieux dotée des ménages » et « l’héritage moyen des 0,1 % plus gros héritiers » représente « environ 180 fois l’héritage médian » expliquent-ils. Un constat qui pousse « à interroger le cadre actuel de la fiscalité du patrimoine » face au défi du « changement climatique », souligne Jean-Paul Mattei, l’un des deux auteurs. Le rapport sur « les incidences économiques de l’action pour le climat » proposait déjà la mise en place d’un prélèvement exceptionnel sur les 10 % des ménages les plus aisés. Ce type de mesures fait directement écho aux préconisations du GIEC qui place la justice sociale au centre de la justice climatique. Pas sûr en revanche que cette solution ne séduise le gouvernement.
L’argent public destiné à la décarbonation est-il bien dépensé ?
L’autre solution pour gagner de l’argent, c’est d’éviter d’en perdre. Or quand il s’agit de la gestion des dépenses publiques pour le climat et la biodiversité, rien n’est moins sûr. Le cas de la rénovation énergétique par exemple, est loin d’être rassurant. Du côté du gouvernement, on semble plutôt nager en eaux troubles.
Le cas MaPrimeRénov’
Pour lutter contre le dérèglement climatique, tout en aidant les Français à réduire leur facture de chauffage, Emmanuel Macron s’est engagé à rénover 700 000 habitations de différentes régions, chaque année pendant cinq ans. En 2020, le programme d’aide MaPrimeRénov’ est lancé. Depuis, difficile d’évaluer avec précision les bénéfices environnementaux du dispositif qui a rapidement présenté des limites. Dans le cadre d’un « audit flash » réalisé en 2021, la Cour des comptes déclarait déjà que « MaPrimeRénov’ répond à des travaux simples et souvent uniques, tels que le changement de chauffage ou l’isolation de fenêtres, ce qui ne favorise pas le bouquet de travaux complémentaires qui permettrait souvent d’éliminer les passoires thermiques (logements en étiquettes F et G). Aucun gain de consommation énergétique minimal n’est requis ».
En février 2023, c’est l’émission « Complément d’enquête » qui pointe du doigt les défaillance du programme au travers d’un sujet au titre évocateur « Rénovation énergétique : des milliards dépensés pour rien ? ». Les découvertes de la journaliste Nolwenn Le Fustec sont pour le moins accablantes : devis bâclés, aides non versées, crédits forcés… À tous les niveaux, la politique du chiffre semble être préférée à celle de l’efficacité. Alors qu’une partie de l’argent public part en fumée, le gouvernement se félicite d’avoir rempli ses objectifs. La rénovation énergétique aurait profité à 679 000 logements en 2021, quand pour France Stratégie, elle est jugée trop partielle dans 83 % des cas.
Le cas CEE
Même constat pour l’aide Certificat d’économie d’énergie (CEE). Proposée aux foyers tricolores par les fournisseurs d’énergie pour financer les travaux d’économies d’énergie de leur logement, la performance réelle de la prime interroge. Pour qu’elle soit efficace, la réduction de la consommation d’énergie des bénéficiaires doit excéder celle qui aurait été réalisée sans incitation financière. Or d’après le média Ener’Focus, aucune étude fiable ne permet de le démontrer.
La marge d’amélioration de l’Etat est donc énorme. L’exécutif tente désormais d’accroître l’efficacité des dispositifs via des décrets d’applications qui renforcent les contrôles et les obligations de résultats et limitent les risques de fuite des fonds publics. Des chantiers urgents à mener d’autant qu’en matière de chiffres, le titre du « chapitre un » du rapport de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz est plutôt clair : « à long terme, au niveau mondial, le coût économique de l’inaction excède de loin celui de l’action ».
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