COP 29 : un sommet pour le climat présidé par le vétéran du pétrole Mukhtar Babayev, les ONG inquiètes !

Par Anne-Lise Lecointre-Baladi , le 8 janvier 2024 - 5 minutes de lecture
Mukhtar Babayev, Crédit Kamran Jebreili/AP/SIPA

Mukhtar Babayev, Crédit Kamran Jebreili/AP/SIPA

Dans les derniers jours de la COP28, il a été acté que la prochaine Conférence des Parties, la COP29, aurait lieu en Azerbaïdjan. Un choix qui a provoqué quelques remous, faisant craindre à nouveau un fort poids des lobbyistes du pétrole et reproduisant la configuration tant décriée de la COP28 à Dubaï. Malheureusement, au regard des dernières annonces, ces craintes, redoutées, sont loin de se dissiper. En effet, bis repetita, après Sultan Al Jaber, un nouvel homme du pétrole présidera la conférence de l’ONU sur le climat, l’Azerbaidjan ayant nommé comme président de la COP29 son ministre de l’Écologie et des Ressources naturelles Mukhtar Babayev, ancien de la compagnie pétrolière Socar.

C’est désormais officiel. Vendredi 5 janvier, Rashad Allahverdiyev, un responsable du ministère, a écrit à l’AFP :  « Son Excellence Mukhtar Babayev a été nommé président désigné de la 29e session de la conférence des parties ». L’an dernier, les Emirats arabes unis, hôtes de la COP28, avaient choisi Sultan Al Jaber, patron de la compagnie nationale Adnoc, pour présider la conférence de l’ONU, qui s’est quand même conclue en décembre à Dubaï sur un appel à une « transition » hors des énergies fossiles, la première fois qu’une COP lançait un tel appel. La présidence sortante de la COP28 a d’ailleurs félicité M. Babayev, qui était à Dubaï.  

Qui est Mukhtar Babayev ?

Mukhtar Babayev a travaillé de 1994 à 2003 au département des relations économiques extérieures de Socar (State Oil Company of Azerbaijan Republic), avant de changer pour le département du marketing et des opérations économiques, et de devenir vice-président chargé de l’écologie (2007-2010). Il est ministre de l’Écologie et des Ressources naturelles depuis 2018. Selon un télégramme diplomatique américain publié sur Wikileaks, et retrouvé par le site Climate Change News, M. Babayev avait indiqué à l’ambassadrice des Etats-Unis qu’il avait comme mission de « changer l’attitude de Socar sur l’environnement », tout en maintenant sa mission « de développer les ressources en hydrocarbures de l’Azerbaïdjan ». Il aurait alors plaisanté être « ennemi » avec le vice-président de Socar responsable du développement pétrolier.

Pour rappel, en 2023, Sultan Al Jaber, qui avait auparavant représenté son pays aux COP, a conservé ses fonctions au sein d’Adnoc et de la société émiratie d’énergies renouvelables, Masdar.
Ses multiples casquettes ont été critiquées pour le risque de conflits d’intérêts, et des documents ont montré un mélange des genres dans la préparation de réunions avec des gouvernements étrangers.

Pourquoi le paysage de la prochaine COP29 rappelle celui de la COP28 à Dubaï ?

Certes, les présidents de COP n’ont pas de rôle décisionnaire mais ils sont essentiels pour catalyser les négociations et proposer des compromis. Les COP sont organisées chaque année dans une zone différente, et les pays hôtes sont désignés par consensus par les pays de la zone. En 2023, les pays asiatiques avaient ainsi désigné les Emirats, et cette année, après des mois de blocage, l’Azerbaïdjan a été désignée par les pays d’Europe de l’Est, qui incluent la Russie.

Francis Perrin, spécialiste de l’énergie à l’Institut de relations internationales et stratégiques, axplique à l’AFP que Bakou fut l’une des capitales mondiales du pétrole au début du 20e siècle.  Le pays a développé à partir des années 1990 de gros gisements pétroliers et gaziers en mer Caspienne. Aujourd’hui le gaz est devenu plus important que le pétrole pour l’Azerbaïdjan, membre de l’Opep, principalement exporté vers l’Europe.
« Le pays reste aujourd’hui très dépendant des hydrocarbures qui représentent un peu moins de 50 % de son PIB, un peu plus de 50 % de ses recettes budgétaires et un peu plus de 90 % de ses recettes d’exportation », commente Francis Perrin.

Pourquoi les ONG s’inquiètent ?

Du côté des ONG, c’est avec une teinte d’appréhension que l’on observe la situation.
« Avec un autre pétro-Etat accueillant la COP, nos inquiétudes se multiplient », a réagi Harjeet Singh, de l’initiative pour un traité contre les énergies fossiles. « Malgré les liens de Mukhtar Babayev avec le secteur pétrogazier, il doit comme président de la COP29 transcender les intérêts de la puissante industrie fossile ».
Alice Harrison, de l’ONG Global Witness qui dénonce le lobbying pétrolier aux COP, a exprimé un « sentiment de déjà vu », avec un « ancien responsable pétrolier issu d’un pétro-Etat autoritaire… »
Enfin, le plus grand réseau d’ONG aux conférences de l’ONU, le Climate Action Network, l’a plus sobrement appelé « à renforcer le résultat de la COP28 sur la transition hors des énergies fossiles et, en particulier, à faire du financement de cette transition dans les pays en développement une grande priorité de la COP29 », selon Tasneem Essop, directrice du réseau.

Enfin, notons que le gouvernement azerbaïdjanais a également nommé le vice-ministre des Affaires étrangères, Yalchin Rafiyev, comme négociateur en chef pour la COP29.

(Avec AFP)

A lire aussi :

Fabienne Barataud, scientifique en rébellion : « À partir du moment où l’on sait des choses, il y a un devoir d’agir »


Anne-Lise Lecointre-Baladi

Rédactrice en chef Deklic

Voir les publications de l'auteur