Le loup en France : un « réel danger pour le bétail et, potentiellement, pour l’homme » ?

Par Charlotte Combret , le 29 septembre 2023 - 13 minutes de lecture
Portrait d’un loup européen en Allemagne

Portrait d’un loup européen en Allemagne. Crédit : Ardea / Mary Evans / SIPA

« La concentration de meutes de loups dans certaines régions européennes est devenue un réel danger pour le bétail et, potentiellement, pour l’homme » a déclaré début septembre, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. Alors que la révision du statut de protection de l’espèce est portée à l’ordre du jour par le Plan loup 2024-2029 de la France, Jean-Luc Borelli, spécialiste de la problématique loup-élevage depuis dix ans et membre de l’équipe de recherche de l’Institut pour la Promotion et la Recherche sur les Animaux de protection (IPRA), nous éclaire sur cette fable du « grand méchant loup » qui nécessite bien des nuances.

Un danger stable pour les troupeaux 

« Pour le bétail, oui, c’est un danger » acquiesce Jean-Luc Borelli. « Il y a un risque de prédation, donc c’est un danger ». Une brebis est une proie potentielle pour un loup, c’est un fait. Une fois cela admis, le spécialiste de l’espèce rappelle que le sujet est « complexe, multifactoriel » et demande à être traité avec « beaucoup de nuances ». Pour évaluer le « danger réel » lié à la présence du canidé, il est d’abord indispensable de préciser d’où l’on regarde et qu’est-ce que l’on regarde.

En Europe, depuis 150 ans, la métapopulation lupine se reconstitue. Mathématiquement, plus il y a de territoires reconquis par le loup, plus il y a d’élevages exposés au risque de prédation. Cependant, si l’on « regarde à l’échelle d’un massif, d’un petit territoire, de quelques unités géographiques où il y a quelques groupes de loups installés, ce n’est pas le nombre de loups sur ce territoire qui fait l’intensité des dommages » explique le chercheur de l’IPRA. En d’autres termes, plus l’on zoome, plus le « danger » est stabilisé.

En France, par exemple, à l’extérieur des foyers de prédation, la moyenne nationale se situe « entre quatre et six attaques par troupeau sur l’ensemble des troupeaux concernés par la présence de loup ». « On arrive à un seuil, une fois que la population de loups s’est installée et que les meutes tiennent un territoire ».

Un troupeau de brebis à Saint Rémy de Provence en 2022 lors de la fête de la Transhumance
Un troupeau de brebis à Saint Rémy de Provence en 2022 lors de la fête de la Transhumance. Crédit : Patrick Siccoli / SIPA

Un risque proche de zéro pour l’homme

En ce qui concerne les êtres humains : le risque zéro n’existe pas. Mais s’il y a eu des attaques de loups par le passé en Europe occidentale et qu’il en existe toujours en Eurasie ou en Amérique du Nord, des incidents impliquant des blessures sur l’humain ne sont plus recensés depuis longtemps sur le Vieux-Continent. Les ongulés sauvages à disposition du loup sont nombreux et la contamination à la rage n’est plus d’actualité. Il n’y a aucune raison que cela n’arrive, d’autant que le loup « à force de millénaires de persécution, a quand même gardé un petit recul sur l’humain », comme le précise M. Borelli. Le loup défend seulement son bout de viande « contre l’humain, contre le chien de protection, contre tous ceux qui pourraient le déranger, sans pour autant attaquer lui-même ». Actuellement, « le vrai, réel et unique souci » concerne les animaux d’élevage. 

Mais les mythes ont la dent dure et les opposants aux loups le savent bien. « C’est facile de la raviver parce qu’elle est dans notre inconscient collectif, cette peur du loup. On vit avec depuis des milliers d’années ». S’il est extrêmement minime, le risque sur l’homme se mue en un argument politique anti-loup, quand celui sur les troupeaux ne suffit plus. « Le problème, c’est que des gens qui sont à la tête de pays ou à la tête d’organismes, d’administrations, commencent à y croire. On perd notre lucidité » s’inquiète le spécialiste. 

Guerre de territoires

Ce qui contribue par ailleurs à valider cette peur millénaire, c’est la proximité qui lie ce grand prédateur aux êtres humains. « Le loup est largement capable de vivre en zone périurbaine, y compris de s’y reproduire et de traverser les villages, isolés ou pas d’ailleurs, facilement tous les soirs. Ça ne veut pas dire qu’il vient convoiter la viande humaine. Ça veut dire que les humains et les loups ont le même territoire, qui se chevauche H24 tout au long de l’année ».

Si dans quelques contrées lointaines, le loup peut vivre tranquillement loin des représentants d’Homo Sapiens, en Europe, c’est mission impossible. Ils sont partout. Au sein de cet espace commun, la même ressource est parfois convoitée. « Comme nous, il est intéressé par les ongulés, qu’ils soient sauvages ou domestiques ». Ce partage de territoire concret, pratique, biologique rend ainsi cette cohabitation on ne peut plus naturelle. Jean-Luc Borelli rappelle que dans « tous les pays où le loup n’a jamais disparu, les habitants connaissent ça, ils vivent avec ça. Alors que ça fasse plaisir ou pas, c’est un autre débat. » 

Une espèce tirée d’affaire en Europe ?

En visite dans les Alpes-de-Haute-Provence pour défendre le nouveau Plan loup, le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau prévient : « L’objectif initial de sauvegarde [du loup] a été réalisé. Ce sont maintenant les éleveurs et leurs activités qui sont en danger ». Mais l’espèce est-elle vraiment « sauvée », comme il l’avance ? Ce qui est sûr, c’est que la population de loups croît partout en Europe. On compte désormais 1104 individus rien qu’en France, selon les estimations de l’Office français de la biodiversité (OFB).

La prudence est pourtant de mise. Pour M. Borelli, raisonner en termes d’individus sur ce sujet, c’est se heurter à de nombreuses limites. « Si on se projette à 20, 30 ou 40 ans et qu’on a que des mâles, la population n’ira pas bien loin ». D’autant que « dans les faits, ça ne change pas grand-chose, ni en conservation de l’espèce, ni en risque sur le bétail », comme évoqué. Pour éviter de tomber dans des travers simplistes et servir au passage l’argument de la peur du loup, c’est plutôt le « nombre de meutes reproductrices » qu’il faut prendre en compte. « Mais c’est plus simple de se faire peur avec 1 000 loups qu’avec 150 ou 160 meutes reproductrices recensées en France ». 

Des loups gris dans la neige
Des loups gris dans la neige. Crédit : Henry Ausloos / SIPA

Si le loup gris est classé « vulnérable » sur la liste rouge des espèces menacées en France de l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN), pour le chercheur, la viabilité de la population lupine de l’Hexagone est néanmoins en bonne voie. Il en va de même pour ses congénères européens. « On avait des noyaux de population isolés, l’Espagne, l’Italie, la Slovénie, l’Allemagne, tout ça, c’est en train de se reconstituer par pays ».

Il faut dire que le loup, de par sa mobilité, sa biologie, sa plasticité, est un champion de l’adaptation, qu’importe son environnement. « La preuve, c’est qu’en 40 ans, il réussit à recoloniser toute l’Europe. Un exploit réalisé « sans spécialement l’aide de l’humain, hormis un statut européen de protection ». En France par exemple, contrairement à ce qui est régulièrement avancé, le loup n’a jamais été réintroduit. Considéré comme éradiqué en 1937 par l’OFB, il est revenu spontanément depuis l’Italie par le Mercantour, au début des années 90. 

19 % de loups tués en France

« Concrètement, sur le terrain, il n’y a rien à faire pour que le loup se porte bien. Il y a juste à essayer d’endiguer les dommages aux troupeaux, mais des actions à mener sur l’espèce en elle-même, il n’y en a pas. Il se débrouille très bien tout seul. » poursuit le spécialiste des canidés. L’Europe et la France semblent prendre ce constat au pied de la lettre, elles qui songent à revoir leur copie quant à son statut de protection. En fonction des données collectées auprès des communautés locales et des scientifiques, la Commission européenne « décidera d’une proposition visant à modifier, le cas échéant, le statut de protection du loup au sein de l’UE et à mettre à jour le cadre juridique, afin d’introduire, lorsque c’est nécessaire, davantage de flexibilité, à la lumière de l’évolution de cette espèce » comme écrit dans un communiqué du 4 septembre dernier.

Sur le Vieux-Continent, le loup pourrait passer d’espèce « strictement protégée » à « protégée ». Les « prélèvements autorisés » seraient alors revus à la hausse et les protocoles de « tirs de défense » assouplis. Pour Jean-Luc Borelli, ce déclassement n’aurait toutefois pas grande incidence sur le prédateur. « De toute façon, la France tire déjà un paquet de loups officiellement et officieusement ». 210 individus tués cette année, soit 19 % de la population lupine, et « peut-être autant de braconnés ».

Un rôle effacé par les humains en Europe

« En tant qu’espèce indigène, le loup fait partie intégrante du patrimoine naturel de l’Europe et joue un rôle important dans ses écosystèmes » nous dit l’exécutif européen. À quel point son environnement serait-il déstabilisé s’il y en avait moins ? Difficile à évaluer tant la présence des humains domine celle des autres sur tous les territoires du continent. « L’homme est encore plus au-dessus, avec encore plus de force de persuasion sur les écosystèmes. On est loin de l’image idyllique du Yellowstone où le loup apporte des tas et des tas de bénéfices aux écosystèmes » souligne le spécialiste de la question loup-élevage.

Réintroduit dans le parc national du Nord des Etats-Unis en 1995, le canidé a redonné au territoire son souffle d’antan. Sous son influence, les populations de wapitis ont diminué permettant à la végétation et aux arbres de se régénérer, de protéger le sol de l’érosion et d’accueillir insectes et oiseaux. Il a également contrôlé les coyotes qui eux-mêmes chassaient les renards, ce qui rendu ces derniers aptes à réguler les rongeurs. Racines, graines et insectes ont cessé d’être pillés, la flore s’est développée et les berges se sont stabilisées… Une série de réactions en chaîne favorables à l’ensemble du milieu ! 

Un loup de la meute du lac Wapiti en 2021, dans le nord du parc national de Yellowstone
Un loup de la meute du lac Wapiti en 2021, dans le nord du parc national de Yellowstone. Crédit : Ryan Dorgan / AP / SIPA

En France, c’est bien différent. Actuellement « son impact est minime », d’après l’expert de l’IPRA. « Déjà parce que son retour est récent dans l’histoire de l’écosystème » et que « ses proies sauvages sont menées par les chasseurs depuis bien longtemps. Plus ou moins bien, mais ça, c’est un autre problème », explique-t-il. « Le milieu est tellement sous le joug de l’humain qu’il lui faudrait des grands espaces sauvages avec très peu de pression anthropique ». Or « en Europe, ça n’existe quasi plus ».

Une coexistence pacifique possible ?

Puisqu’Homo Sapiens et Canus Lupus partagent le même lopin de terre, autant trouver un terrain d’entente. En proie à la réalité du terrain justement, Jean-Luc Borelli reste lucide. « Ça ne peut pas être pacifique. Je pense qu’on a affaire à un humain prédateur. On peut arriver à des seuils où ça peut être raisonnable, raisonné, mais pacifique, non. Il y aura toujours des brebis égorgées et des loups tués, mais c’est dans ce contexte un peu violent qu’il tient de trouver des situations presque à l’équilibre, des situations raisonnables, acceptables et pour la conservation d’une espèce et pour la bonne marge d’une activité d’élevage ».

Une équation difficile que tente précisément de résoudre Jean-Luc Borelli, aux côtés notamment de Jean-Marc Landry, dans le cadre des projets de recherches de l’IPRA. Toutes ces notions de « raisonnable », « acceptable », « supportable » sont aussi subjectives qu’il y a d’êtres humains. « Ça change d’un élevage à l’autre, d’un éleveur à l’autre. Il y a des éleveurs qui sont prêts à encaisser un peu plus de dommages, d’autres beaucoup moins pour des tas de raisons », confie-t-il. Face à cela, il est essentiel de questionner les moyens de protection et de les adapter aux spécificités des systèmes agro-pastoraux. « On va zoomer petit à petit et les équilibres, on les trouvera au cas par cas ». 

Des chiens comme intermédiaires

L’un des moyens de protection les plus efficaces, ce sont eux : les chiens. « On n’a jamais fait mieux depuis qu’on a inventé l’élevage, le chien, et qu’on travaille en zone à prédateurs » affirme Jean-Luc Borelli. Mais comme toute solution, elle vient aussi avec ses inconvénients. Elle implique notamment la gestion de « l’élevage, l’éducation du chien, la cohabitation avec le multi-usage ». L’occasion pour le chercheur de rappeler toute l’étendue des paramètres avec lesquels lui et ses équipes doivent composer. « Il ne suffit pas de réussir la cohabitation avec les prédateurs, il faut aussi réussir la cohabitation avec : les moyens de protection, le multi-usage des territoires, la chasse, le tourisme… Toutes les activités humaines empilées sur le même territoire ».

La tâche est grande. « Réussir la cohabitation au fin fond de l’Alaska où il y a un éleveur, dix chasseurs, c’est plus simple que dans les Alpes ultra-touristiques où on a des tas d’autres soucis » explique-t-il. Parmi eux : la diminution des espaces de pâturage, le développement des résidences secondaires, la hausse de l’affluence des trailers, la pression foncière, le non-accès de l’eau à la source à cause des stations de ski et, bien sûr, le dérèglement climatique. Et c’est bien là où tout se joue. « L’enjeu en Europe, c’est ça, c’est de concilier toutes les activités humaines à la présence de prédateurs ».

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Charlotte Combret

Issue d’une grande école de commerce, Charlotte délaisse rapidement les open spaces parisiens pour s’engager dans la voie de l’indépendance. Son désir de lier pédagogie et poésie la conduit à devenir journaliste rédactrice, dans les Landes, pour des entreprises et médias engagés. Ses passions : le cinéma animalier, les voyages en train, les lectures féministes et les jeux de mots en tout genre.

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