Pierre Rouvière casse les idées reçues autour de l’écologie avec @ecolomoncul
Pierre Rouvière, ingénieur en écoconception, a créé en 2020 le compte Instagram @ecolomoncul, pour dénoncer le greenwashing de certaines entreprises et distinguer le vrai du faux dans les idées reçues que nous avons autour de l’écologie. Des réflexions qu’il a récemment mises sur le papier avec le livre Écolo, mon cul : 14 dilemmes du quotidien pour aller au-delà du bullshit écologique, coécrit avec Barnabé Crespin-Pommier, publié début 2023. Rencontre avec cet ingénieur-influenceur aux 50 000 followers.
Pourquoi avoir décidé de créer le compte Instagram @ecolomoncul ?
Je suis ingénieur en écoconception, donc mon travail consiste à analyser l’impact environnemental de tout un tas de choses. Je me suis rendu compte en commençant à bosser là-dessus qu’il y avait énormément d’idées reçues, à la fois du côté des entreprises et du côté des consommateurs et consommatrices. Malheureusement ces idées reçues peuvent mener à des biais du côté des entreprises qui vont faire un peu n’importe quoi, et à du greenwashing. En discutant avec mon entourage, je me suis dit qu’il y avait un truc à faire, qu’il faudrait peut-être s’adresser pas seulement aux entreprises mais aussi aux personnes qui achètent leurs produits. De là est parti le compte @ecolomoncul. Pourquoi sur Instagram ? Parce que j’ai l’impression que tout le monde, entreprises et grand public, est sur ce medium. C’est un peu le média social par défaut, en tout cas pour ma génération (Pierre Rouvière a 29 ans – ndlr).
Que peut-on trouver sur ce compte Instagram ?
Je poste à la fois des contenus pour dénoncer des campagnes de pub qui, pour moi, relèvent du greenwashing, soit pour décrypter des enjeux. Je pense que les posts dans lesquels je décrypte des enjeux sont les plus intéressants. Notamment quand je fais des comparaisons classiques, par exemple, est-ce que c’est mieux d’utiliser une brosse à dents en plastique ou en bambou, est-ce que c’est mieux d’acheter une voiture électrique ou une voiture thermique, qu’est-ce qui est pire entre un sac en papier ou un sac en plastique ? Sur toutes ces questions, on a souvent des idées reçues. Plein de décisions prises à la fois par les consommateurs·trices, les entreprises ou même les politiques reposent sur ce que j’appelle « le folklore écologique », c’est-à-dire les idées reçues que l’on a. Donc, j’utilise un peu d’ingénierie environnementale pour décrypter tout ça.
Pouvez-vous détailler quelques exemples d’idées reçues ?
Un des exemples les plus emblématiques est celui du sac en papier qui est plus impactant qu’un sac en plastique jetable. Le papier peut paraître plus écologique parce qu’il est biodégradable, et ça risque moins de polluer le sol et les eaux. Mais on oublie de ramener ça au cycle de vie du produit, et à son usage. Si on compare un kilogramme de papier et un kilogramme de plastique, le papier présente bien des avantages, sur tous les indicateurs d’impact. Mais pour faire un sac de courses, pour transporter un certain volume de courses, on va avoir besoin de beaucoup plus de papier que de plastique. Ce papier, pour le produire, il faut couper des arbres, la fabrication demande de l’énergie, de l’eau… Au final, un sac en papier jetable va générer plus de pollution sur le cycle de vie du sac qu’un sac en plastique jetable. Quand les sacs en plastique jetables ont été interdits et que la plupart des supermarchés ont remplacé ça par des sacs en papier, ce n’était pas forcément la meilleure idée du monde. Ça reposait typiquement sur des idées reçues.
Et avez-vous un exemple marquant à partager s’agissant du greenwashing ?
Je pense notamment à MSC Croisières qui passe peu à peu au gaz naturel pour remplacer le fioul. Cela peut générer des transferts d’impact, car sur tout le cycle de vie du gaz naturel, il y a plein de fuites, ce qui génère du méthane, un gaz à effet de serre beaucoup plus puissant que le CO2. D’ailleurs, certes c’est leur gagne-pain, mais ils ne remettent jamais en question le concept même de croisière. La manière dont ils communiquaient sur le passage au gaz naturel en disant que c’est plus écologique, c’est faux. Ça relève complètement du greenwashing. On a aussi beaucoup parlé de Burger King avec leur vaisselle réutilisable. Tout est une question de scope aussi, et de ce qui est impactant dans l’activité d’une entreprise. Pour Burger King, ce qui est important, ce n’est pas tellement les contenants mais plutôt ce qu’il y a à l’intérieur. La manière dont ils communiquaient c’était un peu comme s’ils avaient inventé les verres et les assiettes, comme si c’était une avancée environnementale majeure alors qu’en fait ils reviennent juste à un modèle standard. Ça aussi c’est du greenwashing, d’autant qu’ils ne faisaient qu’appliquer la réglementation passée en 2020.
Vous êtes le co-auteur du livre Écolo, mon cul : 14 dilemmes du quotidien pour aller au-delà du bullshit écologique, sorti en 2023. Pourquoi avoir décidé d’écrire un livre ?
Instagram c’est relativement limité quand on veut faire passer un message complexe. Ce n’est pas en dix slides que l’on va décrypter des enjeux aussi profonds. Si on prend l’exemple du choix entre la voiture électrique et la voiture thermique, je suis obligé d’éluder certaines choses dans les publications. Le livre c’était l’opportunité d’avoir un espace plus large pour aller au fond des sujets mais aussi comprendre que derrière tout ça il n’y a pas qu’une question d’analyse d’impact. Dans le livre, on essaie de tirer les fils en analysant d’abord l’impact environnemental, mais aussi en poursuivant la réflexion pour arriver à des questions plus sociétales, des questions de responsabilité collective. Pour l’exemple de la voiture, on peut aussi parler des questions de genre ou de classe sociale. La voiture n’est pas seulement un objet technique, c’est un objet qui s’inscrit dans un contexte sociétal, culturel, social, économique. Par exemple, on parle beaucoup de l’impact des SUV. Il y a un contexte social derrière : 80 % des conducteurs sont des hommes, ce sont eux qui sont représentés dans les publicités et ce sont eux qui sont derrière le volant. Il y a la question de la classe sociale aussi. Bernard Charbonneau disait « à chaque classe sociale sa voiture ». C’est un marqueur social. Toutes ces questions entrent en jeu quand on parle d’impact environnemental. Aujourd’hui, les politiques nous disent que la solution c’est d’électrifier tout le parc automobile. Déjà, ce n’est pas possible, car on n’aurait pas les ressources en cuivre nécessaires et ça générerait plein d’autres problèmes. Il faudrait plutôt se demander comment on en est arrivé là, dans cette civilisation de la voiture où les ¾ des gens sont obligés de prendre leur voiture pour aller au travail. Cela demande de sortir de sa casquette d’ingénieur et d’aller explorer d’autres domaines de compétence comme la sociologie ou l’anthropologie. On ne pouvait le faire qu’au travers d’un livre et non via Instagram.
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