Pollution au PFAS : « On se retrouve avec un héritage toxique indestructible »
Générations Futures, association spécialiste des pesticides depuis 1996, s’est attaquée à la question de la pollution aux PFAS (composants per- et polyfluoroalkylées) depuis quelques années. De premières plaintes contre X ont été déposées par l’association au mois de juin 2023. Son porte-parole, François Veillerette, a répondu à nos questions.
Le 5 juin 2023, l’association Générations Futures a déposé plainte contre X pour pollution aux PFAS (per- et polyfluoroalkylées) dans trois régions de France : les Hauts de France (où se situe l’Oise), la Bourgogne Franche-Comté et les Pays de la Loire. Au mois de février 2023, le journal Le Monde et 17 autres médias avaient révélé l’ampleur inestimée de cette « pollution éternelle », les PFAS étant particulièrement toxiques pour la santé et persistants dans l’environnement. Les PFAS sont utilisés pour fabriquer des plastiques à haute résistance, des « fluoropolymères » qui sont présents dans de nombreux produits de la vie courante : vêtements techniques, mousses à incendie ou encore emballages alimentaires.
Vous avez porté plainte contre X dans trois régions de France, notamment dans l’Oise, pour pollution aux PFAS. Quelles sont les raisons qui ont mené à cette action ?
On travaille sur le dossier des PFAS depuis quelques années maintenant, presque trois ans. Ce sont des pollutions inquiétantes qui concernent de très nombreux produits différents. Les PFAS sont à la fois toxiques et persistants. Cela pose un problème majeur d’environnement et potentiellement de santé. Grâce notamment aux travaux du journal Le Monde et à toutes les données ainsi rendues publiques, nous avons connaissance de sites particulièrement problématiques en France. C’est ce qui nous a donné envie d’aller plus loin que les actions entreprises jusqu’alors. Nous avons aussi effectué des analyses de l’eau de la rivière Oise qui montrent des teneurs importantes en PFAS. Avec ces informations, nous avons déposé trois premières plaintes pour pollution des eaux, atteinte à l’environnement et aux poissons. C’est une première salve d’actions qui sera suivie d’autres plaintes.
Pourquoi avoir choisi de porter plainte contre X et non de viser les entreprises qui pourraient être responsables de cette pollution ?
Notre objectif n’est pas de cibler un industriel en particulier, parce que dans bien des cas, on a des mesures réalisées dans l’environnement en amont de sites sur lesquels il y a plusieurs acteurs économiques. C’est particulièrement vrai dans l’Oise où il y a une plateforme chimique sur laquelle plus industriels peuvent utiliser ou fabriquer les PFAS (un seul en fabrique, mais plusieurs en utilisent). Nous avons prélevé ce qui provenait de la plateforme chimique mais on ne sait pas exactement d’où ça vient. Notre travail est de repérer ce qui est rejeté dans l’environnement. Ensuite, si une enquête est diligentée à la suite de notre plainte, ce sera à la justice d’aller repérer qui a fait quoi.
Vous vous appuyez notamment sur ces analyses que vous avez effectuées. Les résultats étaient-ils très alarmants ?
Les niveaux que l’on a trouvé dans l’Oise sont comparables, voire supérieurs à ce qui avait été révélé par des études réalisées il y a plus de dix ans par le service d’hydrologie de l’Anses. Ça montre que le niveau de préoccupation est élevé. Dans la région de Pierre-Bénite (où la présence de polluants PFAS a été confirmée par la préfecture récemment – ndlr), les services de l’État ont mis en place un plan de surveillance de l’environnement. Nous demandons que la même chose soit faite dans l’Oise. Il n’y a pas de raison que les citoyens et citoyennes de l’Oise soient moins bien protégés que les citoyens et citoyennes du Rhône.
Quels sont les problèmes générés par les PFAS ?
Ce sont des produits extrêmement préoccupants pour l’environnement et la santé. C’est la raison pour laquelle au niveau européen, une proposition de restriction forte de leur utilisation est à l’étude. Ces produits ont deux défauts majeurs : ils sont très persistants, pour certains, quasiment indestructibles, en raison de leur structure chimique et de la liaison carbone / fluor qui est très solide, et pour beaucoup de PFAS, on a déjà repéré une toxicité avérée : des problèmes de cancers ou de fertilité notamment. Avec des produits très persistants et toxiques, on est sûr d’avoir des problèmes environnementaux et sanitaires majeurs. Les PFAS qui sont déjà dans les rivières et les sédiments vont y rester quasiment éternellement. C’est pour ça qu’on les appelle les polluants éternels. On va continuer à y être exposés à des doses peut être faibles mais continues même si on arrêtait tout aujourd’hui. On ne devrait pas utiliser ce genre de produit, on n’aurait jamais dû le fabriquer. Maintenant qu’on l’a fait, on se retrouve avec un héritage toxique indestructible. On ne sait pas exactement comment s’en débarrasser. C’est pour cela qu’il faut urgemment sortir des PFAS. Mais il faut d’abord mettre en place des mesures d’urgence pour surveiller l’exposition des populations proches des lieux où des rejets dans l’environnement sont avérés, comme dans les trois départements concernés par nos plaintes.
C’est ce qui est demandé dans le cadre des actions en justice lancées par Générations Futures ?
Notre action a plusieurs objectifs. L’objectif final est de sortir des PFAS et d’arrêter leur production. Mais il y a déjà des atteintes à l’environnement, les PFAS ayant impacté la qualité des cours d’eau, pollué les milieux et les espèces. Pour nous, cet impact sur l’environnement est déjà condamnable. C’est pour cela qu’on a déposé ces plaintes contre X. Dans un premier temps, l’idée est de demander à la justice d’aller voir qui a fait quoi à tous les niveaux, qu’il s’agisse des services de l’État en région ou des industriels eux-mêmes, afin de savoir si toutes les règles ont été respectées et s’il y a des responsabilités et mises en cause possibles. C’est ça le sens des plaintes contre X. À côté de notre action juridique, on a aussi une action de plaidoyer, pour faire en sorte que les politiques s’intéressent à ce sujet et appuient le plus fortement possible le principe d’une sortie des PFAS au niveau de l’Union Européenne.
Quels sont les industriels à l’origine des pollutions au PFAS ?
Il y a deux types d’usines qui créent des pollutions par les PFAS : les unités qui les fabriquent – en France, il existe quatre ou cinq unités de fabrication, mais ce sont des unités importantes – c’est le cas à Pierre-Bénite et à Villers-Saint-Paul dans l’Oise. Puis, plein d’entreprises, grandes petites ou moyennes, les utilisent pour fabriquer les produits. La pollution ne se limite donc pas aux quatre ou cinq sites de production, mais concerne tout le territoire. En général la pollution est moins importante dans les sites qui utilisent simplement les PFAS que dans ceux qui les produisent, mais il y a tout de même des rejets à tous ces niveaux. C’est ce que l’excellente carte du journal Le Monde illustre clairement. On voit qu’il y a une dissémination de la pollution sur l’ensemble du territoire. Et encore, très peu de recherches ont été effectuées. Le jour où on fera d’autres recherches, on constatera qu’il y a des PFAS partout.
Pourquoi l’association Générations Futures s’est-elle intéressée à la question ?
Historiquement, depuis la création de Générations Futures il y a environ 25 ans, on travaille sur les pesticides. On était une association régionale en Picardie au départ, où les questions d’environnement et de pesticides sont prégnantes. Très rapidement on est devenu une association nationale spécialiste de cette question aussi bien s’agissant de la dangerosité des pesticides que de leurs alternatives. On a notamment lancé la semaine pour les alternatives aux pesticides, que l’on coordonne depuis 20 ans. On a voulu étendre notre action à d’autres produits chimiques. La chimie des PFAS rencontre celle des pesticides, car plusieurs dizaines de pesticides sont eux-mêmes des PFAS. On n’est pas en terrain inconnu du tout. Et les PFAS sont ressortis comme le client numéro un, car leurs caractéristiques de dangerosité et d’extrême persistance font qu’ils sont parmi les pires produits chimiques de la planète si ce n’est les pires.
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