« Unabated » : l’issue de la COP28 pourrait reposer sur une ambiguïté sémantique
Selon plusieurs experts, l’issue des négociations les plus importantes sur le climat depuis 2015 pourrait reposer sur une ambiguïté autour d’un mot crucial : les « unabated fossil fuels ». Traduction : les énergies fossiles sans mesure de réduction des émissions de carbone.
« Unabated », what ? Parmi les options très controversées retenues par les négociateurs de la COP28 dans un projet d’accord cette semaine, il y a celle d’accélérer « les efforts visant à éliminer progressivement les ‘unabated fossil fuels’ » et à réduire leur utilisation pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Mais de quoi parle-t-on, au juste ? Les « unabated fossil fuels » font référence aux combustibles fossiles non adossés à des dispositifs de captage de carbone. Autrement dit, ceux dont les émissions de CO₂ générées ne sont pas emprisonnées et stockées, par exemple, dans les entrailles de la terre. Dans la même lignée, il existe également une option consistant au cours de cette décennie à « abandonner rapidement le ‘unabated coal power’ », c’est-à-dire l’énergie alimentée au charbon sans mesure pour récupérer le dioxyde de carbone.
Pas de signification claire pour le moment
Le problème, disent les experts, est de préciser ce que cela recouvre réellement. « Des termes comme ‘unabated’ n’ont pas de signification claire pour le moment », a déclaré à la presse cette semaine Lisa Fischer, analyste du groupe de réflexion E3G. « Abated » désigne généralement le captage des émissions avant qu’elles ne soient rejetées dans l’atmosphère. Mais pour notre mot mystère, la définition est loin d’être stricte. Dans le dernier rapport du Giec, une note de bas de page indique que les combustibles fossiles « unabated » sont « ceux qui ne font pas l’objet d’interventions permettant de réduire considérablement » les émissions de gaz à effet de serre. Plutôt vague, on en conviendra.
Pour l’heure, les discussions sur la réduction des émissions portent essentiellement sur les technologies de captage et de stockage du carbone (CSC) qui piègent les émissions à la sortie des centrales électriques ou sites industriels. L’industrie pétrogazière et les principaux pays producteurs, dont les Émirats arabes unis, hôtes de la COP28, en font l’apologie. Rien d’étonnant puisque cette technologie se présente comme un argument favorable au maintien de l’utilisation des énergies fossiles. Et c’est bien là que cette ambiguïté sémantique nouvellement greffée change la donne, dans la mesure où les producteurs d’hydrocarbures s’engagent sur la réduction des énergies fossiles « unabated » et non sur celle des énergies fossiles… tout court.
Pas de rôle à jouer pour le CSC
Et pourtant, cette solution « miracle » n’en est pas une. À court terme, le Giec estime que les émissions de gaz à effet de serre doivent être réduites de près de moitié au cours de cette décennie pour contenir le réchauffement climatique à +1,5 °C. Comme l’affirment les experts, cela implique de remplacer rapidement les combustibles fossiles par des énergies renouvelables. En revanche, le CSC n’a guère de rôle à jouer dans cette décennie cruciale, selon eux. Même à plus long terme, les scientifiques prévoient que l’utilisation des techniques de CSC sera limitée et concentrée sur les secteurs les plus difficiles à décarboner, comme le ciment.
La High Ambition Coalition rejoint leur point de vue. Dans une déclaration publiée avant les négociations sur le climat, le groupe qui regroupe des pays tels que la France, le Kenya et la Colombie, avait déclaré que les technologies de réduction n’avaient qu’un rôle « minime » à jouer pour décarboner l’énergie. « Nous ne pouvons pas l’utiliser pour donner un feu vert à l’expansion des combustibles fossiles », avaient-ils encore affirmé.
Une tactique de diversion ?
Lisa Fischer de E3G y voit « une tactique de diversion » : « On ne peut pas vraiment installer un petit dispositif de captage du carbone sur chaque pot d’échappement de voiture ». Jusqu’à présent, installer des dispositifs de captage de CO₂ sur des centrales électriques au gaz ou au charbon, puis stocker le CO₂, s’est avéré techniquement faisable, mais peu rentable. Et peu concluant. En 2022, 35 installations dans le monde ont piégé seulement un total de 45 millions de tonnes de CO₂, selon l’Agence internationale de l’énergie. Or Sultan Al Jaber, président de la COP28 et dirigeant de la compagnie pétrolière émiratie Adnoc ne l’a que trop bien répété : il faudrait réduire les émissions mondiales de 22 milliards de tonnes « au cours des sept prochaines années ».
Certains craignent en outre que la technologie ne soit pas suffisamment efficace. D’après une analyse du groupe Climate Analytics, une dépendance excessive à l’égard du CSC à grande échelle – et une performance insuffisante – pourraient entraîner un excédent de 86 milliards de tonnes d’émissions de gaz à effet de serre entre 2020 et 2050. Un pari qui pourrait coûter très cher en carbone, mais pas que. Un rapport de la Smith School of Enterprise and the Environment (Université d’Oxford) estime qu’une forte dépendance à l’égard du CSC coûterait au moins 30 000 milliards de dollars de plus que de parier sur les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique.
(Avec AFP)
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