Volte-face : Constance Laroche, ex marketeuse reconnectée à la nature : « Bifurquer m’a permis de porter un autre regard sur moi-même. »

Par Philippe Lesaffre , le 24 juillet 2023 — engagement écologique, interview, portrait, Volte-face - 6 minutes de lecture
Portrait de Constance

Constance Laroche adapte la permaculture au monde du travail. Crédit DR

Grâce à l’approche de la permaculture, Constance Laroche, autrefois employée au sein d’une entreprise dans l’agroalimentaire, a trouvé la voie pour « se rendre utile aux autres ».

Sur la table, Constance pose un dé, puis le plateau du jeu de la permaculture en entreprise, qu’elle a imaginé au printemps dernier. Devant elle, quelques salariés de l’enseigne Leroy Merlin s’apprêtent à le tester. Il n’y a qu’un seul pion, ils vont devoir jouer en équipe. Leur objectif : avancer de case en case et, en fonction de l’emplacement, piocher des cartes correspondant à des thématiques, comme la gouvernance, le management, les ressources naturelles, la production… Une manière, pour eux, de se questionner ensemble sur leur quotidien, leur travail, leur organisation, l’épanouissement personnel des uns et des autres, de manière ludique, sans prise de tête.

Depuis quelques années, Constance accompagne les entreprises ayant l’intention d’amorcer une transition et de revoir leur modèle économique pour plus de durabilité. Elle les aide à trouver leur propre moyen de se transformer, en fonction de leur environnement. Elle les invite à adapter au monde du travail la philosophie de la permaculture. C’est-à-dire l’idée de « prendre soin de la Terre, des humains, sans oublier de partager équitablement les surplus ». Des principes qu’il est donc possible d’appliquer ailleurs qu’au potager.

Le concept, elle l’a découvert en 2018 lors d’un stage d’initiation à l’école du Breuil, qui forme aux métiers de l’horticulture à Paris. Elle venait alors d’accoucher de son deuxième enfant et avait ressenti le besoin de faire le bilan (calmement) de son parcours professionnel. Ce congé parental est tombé à pic et a été pour elle une « parenthèse salvatrice », près de vingt ans après le début de sa carrière professionnelle. « Jusque-là, dit-elle, les journées et les semaines s’enchaînaient sur un rythme fou dans la capitale. Et pendant les vacances, impossible de penser au travail. Je me reposais. Ce qui m’a empêché de me poser les bonnes questions au sujet de mon avenir. »

« J’ai fait un gros travail pour mieux me connaître »

Cinq ans, en préambule, au sein d’un institut d’études de marché, puis douze dans une société du secteur de l’agroalimentaire à des postes rattachés au marketing, puis à la direction commerciale ont laissé des traces. Quelque part, identifier les attentes des « consommateurs » (son premier job dans ladite société) ou encore développer la visibilité et le nombre de produits disponibles en grande surface étaient autant de tâches qui l’ont épuisée. Car elle sentait bien qu’elle n’était plus en phase, à force. « Je ne partageais plus les valeurs de mon employeur. Les plans sociaux se succédaient, la logique de profitabilité ne me convenait plus. »

Mais qu’entreprendre ? Doit-elle revenir à son précédent poste comme si de rien n’était, ou démissionner ? Faut-il penser à une reconversion et, si oui, à laquelle ? « Je n’avais aucune idée précise en tête, rétorque-t-elle aujourd’hui. J’ai voulu me laisser toutes les portes ouvertes. J’ai fait un gros travail pour mieux me connaître, pour tenter de savoir ce dont j’avais besoin dans la vie, comment je pourrais m’accomplir et être utile aux autres. » Constance comprend assez vite qu’elle ne fera pas demi-tour. Bye-bye les collègues, la quête de la performance économique ne l’intéresse plus.

Prendre des risques ? « Pas dans sa nature profonde »

Elle commence à y voir plus clair. Toutefois, il n’est pas évident de se lancer à son compte, de miser sur l’incertitude du lendemain, de prendre un risque sans garantie, notamment financière. « Ce n’est pas dans ma nature profonde, mais si j’ai pu tenter le coup c’est que j’avais l’appui et le soutien de mon mari, lui-même chef d’entreprise… »

Il l’encourage à persévérer. Elle poursuit ses réflexions sur la permaculture, de lecture en lecture, d’atelier en atelier, de cours en cours, en compagnie par exemple des éleveurs d’ovins Andy et Jessie Darlington, pionniers de la permaculture en France, sur les terres de l’Aude. Ou encore de l’agronome Samuel Bonvoisin, formateur en conception de systèmes régénératifs, qui l’invite, via l’Université des Alvéoles, à découvrir « comment piloter sa vie et ses projets avec la permaculture humaine », autre application possible de la philosophie. Autant de « rencontres inspirantes », qui l’aident à trouver la bonne direction.

L’ex « marketeuse » se penche sur la transposition de l’éthique de la permaculture dans le monde professionnel. Ce sont par exemple des compagnies qui se donnent pour mission de mieux répartir les richesses, ou d’autres qui cessent d’exercer des pressions sur les ressources naturelles, bref, celles qui cherchent à avoir un impact positif net… De la théorie à la pratique… Elle teste les principes sur certaines personnes au sein d’entreprises qui lui font confiance, qui acceptent d’être ses « cobayes », sourit-elle. Façon aussi de balayer le fameux syndrome de l’imposteur, bien ancrée en elle. « Je pensais au départ être incapable d’accompagner des structures, des collectifs. » Mais elle se trompe. Au contraire, elle est parvenue à aider ces femmes et ces hommes, résume-t-elle plus de trois ans après. « Et j’ai su porter un autre regard sur moi-même… » Petite victoire personnelle.

« Nous reconnecter à la nature »

Un virus méconnu qu’on appellera Covid-19 va stopper son élan. Elle sera contrainte de stopper la phase de prospection commerciale, toujours nécessaire en début d’activité. Qu’à cela ne tienne, elle utilise ce temps confiné (mais précieux) pour coucher sur papier ses trouvailles auprès de ses « cobayes ». L’ouvrage L’Entreprise fertile (éditions Reverse) sort en décembre 2020… Et des portes s’ouvrent. Elle anime quelques conférences pour plusieurs acteurs du secteur public. Le « bouche-à-oreille » est à l’œuvre, dit-elle. Et Constance file de client en client. Sa mission : montrer que chacun·e peut trouver sa place au sein d’une organisation, et s’impliquer pour avancer.

Une mission… fertile pour celle qui a, en 2021, fui Paris pour emménager en famille dans un petit village de 2000 âmes, en Saône-et-Loire. « Nous avions à cœur de quitter l’univers des grandes villes pour nous reconnecter avec la nature et profiter du chant des oiseaux… » Lors de notre discussion au sujet des entreprises régénératrices, des volatiles non silencieux se font justement entendre… Le chant du bonheur ?

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Philippe Lesaffre

Journaliste depuis une dizaine d'années, Philippe couvre l'actualité de l'écologie pour plusieurs médias comme Deklic, mais aussi Marcelle, Ekopo... Il est aussi le cofondateur du média indépendant Le Zéphyr, dédié à la protection de la nature et du vivant. Des sujets qui le passionnent.

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