Volte-face : Gaëlle Grognet, d’Amazon à l’improvisation théâtrale : « J’ai eu l’impression de réconcilier ma tête et mon corps »

Par William Buzy , le 2 février 2024 — Volte-face - 7 minutes de lecture
Gaëlle Grognet

Gaëlle Grognet a replacé le théâtre au centre de sa vie, Crédit Sli-K / BK Sine Photo

Longtemps en recherche d’équilibre entre sa vie professionnelle chez Amazon et sa passion pour le théâtre, Gaëlle Grognet a finalement trouvé son « écologie intérieure ». À 44 ans, elle utilise aujourd’hui l’improvisation, « zéro déchet absolu de la créativité », pour construire des ateliers, des formations ou des spectacles engagés.

Et si l’écologie n’était pas seulement un amas d’interactions complexes entre des milliards d’êtres humains et leur environnement, mais aussi un équilibre plus simple et beaucoup plus personnel ? Cette « écologie intérieure », c’est ce qu’a découvert Gaëlle Grognet au fil de sa vie professionnelle, sans jamais avoir été particulièrement sensibilisée aux enjeux climatiques auparavant. Et c’est cette nouvelle perception qui l’a fait « descendre du TGV d’une vie de cadre parisienne super active » pour trouver « la petite gare de province où se poser », dans un calme retrouvé et recentré autour de l’humain. Et ce n’est pas une réflexion de développement personnel de bas étage qui l’a menée sur ce chemin, mais bien l’expérience très concrète de l’équilibre d’un corps qui se cherche longtemps, puis se trouve enfin.

Pourtant, bien avant ce déclic, Gaëlle pense déjà avoir trouvé le bon équilibre. De son enfance dans une famille « qui aime la gestion saine des choses » et prend garde « de ne pas avoir trop », elle garde l’habitude de « ne pas être une grande consommatrice », sans associer ce comportement à « une conscience écologique ». Elle grandit dans un environnement sensible à la nature, avec « un jardin et un chat », des plats « préparés à la maison avec soin », mais « sans entendre parler de tri des déchets », à une époque – les années 80 – où les sujets environnementaux ne sont « pas forcément sur la table ».

Ils ne seront toujours « pas dans le radar » en école de commerce à la fin des années 90, puisque « les parcours autour de la durabilité n’existent pas encore ». Passionnée de théâtre et de comédie musicale, elle monte plusieurs projets en parallèle de ses études. « L’activité artistique dépasse déjà le hobby à cette époque-là, se souvient-elle. C’est un besoin, comme un truc en intraveineuse. » Elle n’essaiera pas, cependant, d’en faire un métier. « Ça me faisait trop peur », confie-t-elle. Elle qui était « bonne élève » ira au bout de ses études pour « avoir beaucoup de débouchés ». « C’était mes deux jambes : travailler, être dans le concret, tout en gardant du temps pour le théâtre ».

Un déclic au Canada

Gaëlle, qui « ne rêve pas de grosses boites », mais veut « voyager et comprendre comment ça fonctionne ailleurs », termine ses études au Québec. Bien sûr, elle souhaite y poursuivre ses activités artistiques, et « tombe dans l’improvisation ». Un déclic. « Ça va changer ma vie à plein d’endroits. » Car l’impro, c’est la possibilité de « jouer toutes les semaines » malgré un travail à plein temps. On n’écrit pas, on ne répète pas, « on fait avec ce qui est là dans le moment présent ».

Crédit Hélène Oleary

De retour en France, Gaëlle lance sa troupe d’improvisation, son « masque à oxygène »et trouve un poste dans le milieu de la culture, pensant ne pas avoir à choisir entre ses besoins professionnels et son amour pour le théâtre. Mais elle comprend vite qu’elle a « plus envie de jouer que d’être celle qui permet aux autres de jouer ». Voyant son travail étouffer sa vie artistique, craignant que « la flamme ne s’éteigne », elle change radicalement de monde et entre chez Amazon.

« À l’époque, ce n’est pas du tout le Amazon qu’on connaît aujourd’hui. On est en 2006, il y a 20 personnes dans le bureau parisien en et un seul entrepôt en France, au niveau d’Orléans. C’est une start-up. Tout le monde se connaît, se retrousse les manches. C’est une école formidable. » Formidable mais usante. Huit ans plus tard, Gaëlle a déjà changé de poste trois fois, et la petite équipe soudée est devenue un immeuble de 500 salariés. L’humain s’efface à mesure que les processus s’automatisent et que la pression augmente. C’en est trop pour celle dont on vante « le sens du collectif et du relationnel ».

Une écologie intérieure salvatrice

Le burn-out pousse au départ. « À un moment, il y a eu une déconnexion complète de l’aspect humain des choses. La boite avait évolué. Je n’étais plus la bonne personne au bon endroit. » Deux ans de « jachère », suivront ce départ. « Je ne savais plus du tout ce que je voulais faire. J’avais besoin de tout laisser reposer. » L’occasion de constater que l’impro est toujours sa bouée, et que les parcours de ses camarades de troupe l’inspirent. Elle se laisse porter par le hasard des rencontres, se forme à l’intelligence collective, à la gouvernance partagée, à la communication non-violente. Elle « butine »Et relie ces nouveaux outils à son travail artistique. « J’ai l’impression de passer du noir et blanc à la couleur à ce moment-là. » 

Peu à peu, Gaëlle trouve « l’oxygène qui manquait » à son « écologie intérieure ». Désormais, son travail artistique et ses missions professionnelles se nourrissent l’une l’autre. Elle utilise l’improvisation pour créer des animations, des ateliers ou des parcours de formation sur mesure pour des publics très variés, crée un spectacle à mi-chemin entre la conférence et le théâtre, rejoint la Fresque de la diversité ou encore utilise la danse pour remettre de la joie et de l’énergie dans les luttes, notamment écologistes. 

« J’ai eu l’impression de réconcilier ma tête et mon corps. Pendant les dix années précédentes, j’avais fait le hamster dans ma roue. Je n’avais pas appris à questionner et à respecter mon environnement. En utilisant l’improvisation comme espace de jeu et d’expérimentation, j’ai eu l’impression de trouver mon écologie intérieure. » Et grâce à toutes ses nouvelles rencontres, Gaëlle va en outre découvrir des parcours très marqués par les questions environnementales, et se familiariser avec une sensibilité écologique qui ne l’avait pas traversée concrètement jusqu’à présent.

Jusqu’à relier les enjeux climatiques à son propre quotidien ? En quelque sorte. « L’improvisation, c’est le zéro déchet absolu de la créativité, affirme-t-elle. On utilise tout, on ne gâche rien. Pendant longtemps, je voulais juste apprendre et découvrir. La transition écologique n’était pas un moteur en soi, en tout cas pas au sens où on l’entend pour la plupart des gens. Mais en trouvant cet équilibre entre mon corps et ma tête, j’ai découvert une écologie personnelle, dont je peux me servir pour penser plus largement. En fait, on va chercher beaucoup de ressources et d’énergie partout, alors que la plupart des ressources sont déjà à l’intérieur de nous. Quand tu as compris ça, tu es à ta place. »

À lire aussi :

Volte-face : Bruno fait jouer ses mains sur des morceaux de bois

Volte-face : Juliette Caulier, la fast-fashion en ligne de mire

William Buzy

Écrivain et journaliste, William Buzy a fondé le média Impact(s), spécialisé dans la journalisme de solutions, et fait partie d’un collectif adepte du journalisme littéraire et du documentaire. Auteur de plusieurs romans, il a également publié des récits et des essais sur le journalisme.

Voir les publications de l'auteur