La sixième limite planétaire est franchie
L’humanité s’enfonce encore un peu plus au-delà des « limites planétaires ». Après que le seuil écologique de l’eau verte ait été dépassé en 2022 dans l’indifférence générale, c’est au tour de celui sur l’eau bleue d’être emporté par les flots. Désormais, c’est tout le cycle de l’eau douce qui est perturbé au-delà du soutenable.
Mi-septembre, l’étude de référence sur le concept des neuf « limites planétaires » est tristement actualisée par ses auteurs dans la revue Science Advances. Après celui de l’eau verte, voilà que le seuil de l’eau bleue est dépassé. Voisines sur le cercle chromatique, toutes deux jouent un rôle indispensable auprès de l’ensemble du vivant. Absorbée par les plantes, l’eau verte est « nécessaire pour alimenter et maintenir les processus au sein des écosystèmes, ainsi que les fonctions, biens et services dispensés par ces écosystèmes », d’après l’INRAE. Son homologue couleur azur, qui coule dans les rivières, les lacs et les nappes phréatiques, arrose quant à elle les êtres humains, leurs cultures et leurs industries.
Six des neuf limites franchies
La pollution et l’exploitation des ressources naturelles par l’humanité continuent de pousser dangereusement la Terre au-delà de ses capacités de résilience. Sur les neuf seuils écologiques identifiés par les 29 scientifiques internationaux impliqués dans l’étude, six sont désormais franchis : le changement climatique, la déforestation, la perte de biodiversité, la quantité de produits chimiques synthétiques (dont les plastiques), la raréfaction de l’eau douce et l’équilibre du cycle de l’azote. Pour ne rien arranger, deux autres sont en passe de l’être : l’acidification des océans et la concentration des particules fines polluantes dans l’atmosphère. Seul l’état de la couche d’ozone reste en dessous, avec une bonne marge, selon l’équipe de chercheurs.
Des conditions d’habitabilité de la planète bleue
Définies en 2009 par le Stockholm Resilience Center, ces limites planétaires correspondent à des seuils à ne pas dépasser pour garantir aux écosystèmes une planète habitable avec une « zone de fonctionnement sûre ». « Avec les limites planétaires, nous identifions les processus importants qui maintiennent la Terre dans les conditions de vie qui ont prévalu au cours des 10 000 dernières années, pendant laquelle l’humanité et la civilisation se sont développées » a expliqué Katherine Richardson, autrice principale de l’étude et professeure à l’Institut du Globe de Copenhague. Maniée avec des pincettes à ses débuts, cette notion est progressivement devenue une référence de la science du système Terre, au point d’être mentionnée dans les derniers rapports du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat).
« Nous avançons toujours dans la mauvaise direction »
L’étude publiée ce mois-ci est la deuxième actualisation majeure après celle de 2015, et les conclusions ne vont pas en s’améliorant. « Nous avançons toujours dans la mauvaise direction (…) et rien n’indique que l’une ou l’autre de ces limites – à l’exception de la couche d’ozone, qui se rétablit lentement depuis l’interdiction des chlorofluorocarbures – commence à évoluer dans la bonne direction », a déploré Johan Rockström, cocréateur du concept et directeur de l’Institut de recherche sur l’impact du climat de Potsdam (PIK). « Cela signifie que nous perdons en résilience, que nous mettons en péril la stabilité du système Terre » a-t-il encore ajouté.
Des dépassements qui s’amplifient mutuellement
Les différents dépassements de limites s’auto-alimentent : c’est l’une des conclusions les plus importantes des scientifiques. Ces derniers mettent notamment en lumière le lien clé qui unit la concentration croissante de CO2 et les dommages infligés à la biosphère. « Après le changement climatique, l’intégrité de la biosphère est le deuxième pilier de notre planète », a déclaré Wolfgang Lucht, responsable de l’analyse du système Terre au PIK. Pourtant, « nous le déstabilisons actuellement en prélevant trop de biomasse, en détruisant trop d’habitats et en déboisant trop ». Alors que la maison brûle, la biodiversité étouffe. Le rythme de l’extinction des espèces s’emballe et leur taux de disparition est dix fois supérieur au seuil recommandé. Côté changement climatique, la limite s’évalue en termes de concentration en CO2 de l’atmosphère. Si celle-ci est restée très proche de 280 parties par million (ppm) pendant au moins 10 000 ans avant la révolution industrielle, en 2022, elle atteint 417 ppm. Un chiffre nettement au-dessus de la limite sûre définie par l’étude à 350 ppm. « Nous nous dirigeons vers un réchauffement de 2,5°C, 2,6°C ou 2,7°C, un niveau inconnu depuis quatre millions d’années », a mis en garde M. Rockström. D’autre part, des milliers et des milliers de composés chimiques artificiels (micro-plastiques, pesticides, déchets nucléaires ou médicaments polluant l’environnement) sont quantifiés pour la première fois. Et là aussi, la limite est largement franchie.
Tout n’est pas perdu
Lueur d’espoir cependant, d’après les scientifiques, la situation peut revenir en deçà des seuils d’alerte. « Il s’agit simplement de fixer des limites à la quantité de déchets que nous rejetons dans l’environnement et à la quantité de matières premières vivantes ou non que nous en extrayons », a préconisé M. Richardson. Avant qu’une prochaine limite ne soit dépassée, il semblerait qu’il soit grand temps d’en poser.
(Source AFP)
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