« Les super-pouvoirs de l’océan » : les erreurs et approximations du secrétaire d’Etat à la mer sur France 2
Présentée par Léa Salamé et Hugo Clément, France Télévisions proposait dans la soirée du 28 novembre, une émission spéciale consacrée à l’océan et ses super-pouvoirs. Invité aux côtés de la navigatrice Maud Fontenoy, de la militante écologiste Camille Etienne, de la biologiste marine Françoise Gail ou encore de l’ancien président du Muséum d’Histoire Naturelle Gilles Bœuf, le Secrétaire d’État chargé de la Mer Hervé Berville a répondu plutôt fébrilement aux questions qui lui ont été adressées, disséminant ça et là erreurs et approximations.
« La France et l’Europe n’autorisent pas le chalutage dans les aires marines protégées »
Hervé Berville fait son entrée sur le plateau, alors que viennent de défiler des images glaçantes de ces bateaux de pêche industrielle de plusieurs dizaines de mètres de long, raclant les hauts fonds marins sans aucune sélection des espèces. Une première question surgit légitimement : pourquoi autorise-t-on des chalutiers dans les eaux territoriales françaises supposées être épargnées ? « La France et l’Europe n’autorisent pas dans les aires marines protégées (AMP), ce bateau n’a pas le droit de pêcher » répond le Secrétaire d’État chargé de la Mer avant d’évoquer le combat mené par la France sur le « traité de protection de la biodiversité marine » qui a permis de réguler ces activités et de créer des aires marines protégées. « La France est le seul pays au monde à avoir à la fois des surfaces de protection, mais aussi des interdictions qui sont les plus fortes en Europe et dans le monde » s’est félicité M. Berville. « Si vous prenez l’exemple de toutes les aires marines protégées en France, il n’y a pas de navires usines ».
Le 2 avril 2023, c’est pourtant lui qui annonçait qu’« aucune interdiction de l’utilisation du chalut et de la pêche de fond ne sera imposée dans les aires marines protégées des États membres de l’UE ». En février, la Commission européenne avait présenté un plan d’action visant à « verdir » le secteur de la pêche et à « éliminer progressivement » le chalutage de fond dans les AMP d’ici à 2030. La France s’y opposait totalement. Face à un secrétaire d’Etat à la mer qui ne manque pas de rappeler à quel point le pays est pionnier en matière de protection de l’océan, Camille Etienne réagit. « Tout le monde s’insurge du fait que la COP28 a lieu à Dubaï avec des dirigeants de l’industrie fossile, mais quelle hypocrisie de la France d’accueillir le plus grand sommet mondial sur l’océan, mais qui en même temps autorise le chalutage dans ses aires marines protégées » souligne-t-elle.
La militante écologiste rappelle que 0,1% de ces aires marines protégées le sont véritablement. D’après l’association Bloom, 86% des aires européennes dites « protégées » sont intensément exploitées par des méthodes de pêche industrielles. En France métropolitaine, ce chiffre tombe à 0,005% en Manche, Atlantique et Mer du Nord. Si Hervé Berville ne souhaite pas entrer dans « un débat de définition », celle que donne l’UICN est stricte. Une « aire marine protégée » ne peut être considérée comme « protégée » si des activités extractives industrielles y sont conduites.
« Nous allons fermer pendant un mois tout le golfe de Gascogne… Ce plan est basé sur un consensus scientifique »
Cette fois, c’est Hugo Clément qui interpelle le Secrétaire d’État chargé de la Mer. À l’appui : des images, filmées par les équipes de son média Vakita. « Dans une zone officiellement protégée en France, il y a des bateaux de pêche dont certains sont affiliés à de la pêche industrielle ». Dans leurs filets, le cadavre de plusieurs dauphins. « Qu’est-ce qu’on attend pour protéger ces cétacés qui sont en grave danger à cause de la pêche » demande le journaliste. Parce que sur la question des dauphins, la France est encore loin de faire figure de bonne élève. En septembre dernier, après avoir été mise en demeure par la Commission européenne, le gouvernement est rappelé à l’ordre par le Conseil d’Etat qui le somme de prendre « des mesures concernant la protection des espèces marines protégées et les captures accidentelles de cétacés ».
Sur le plateau de France 2, Hervé Berville assure qu’un plan est déployé en accord avec un consensus scientifique. « Nous allons fermer pendant un mois tout le golfe de Gascogne, nous sommes le seul pays européen à le faire ». Mais Camille Etienne le reprend aussitôt. Pour mettre les cétacés hors de danger, le Conseil International de l’Exploration de la Mer (CIEM) préconisait au minimum une fermeture de non pas un, mais quatre mois des pêcheries à risques (trois en hiver et un en été). Du côté de l’association Bloom, ce projet avait même été qualifié de « honteux » puisqu’il balayait « tout simplement les recommandations des scientifiques ».
« La France est le pays en Europe qui est sorti le plus rapidement d’un certain nombre d’usage du glyphosate »
« Parce que depuis le début de la soirée, on demande aux Françaises et aux Français de s’engager pour les océans, on a dit (…) que tout finit dans l’océan, et on a vu cette étude récente qui montre qu’aux moins 210 tonnes de pesticides, d’herbicides, finissent chaque année dans l’océan » commence Ali Baddou avant d’interpeller le ministre sur l’abstention de la France qui a entériné le prolongement de l’autorisation du glyphosate en Europe pour dix années supplémentaires.
« La France est le pays en Europe qui est sorti le plus rapidement d’un certain nombre d’usages » se défend Hervé Berville. Oui mais « la France est le plus gros consommateur de glyphosate européen » complète, à juste titre, Hugo Clément. Si l’utilisation du glyphosate a été interdite dans les espaces publics et les jardins particuliers en 2019, l’herbicide est encore très utilisé dans le secteur agricole. D’après les données de la Banque nationale des ventes des distributeurs, compilées par Mediapart, ce pesticide controversé a été davantage vendu en France en 2021 qu’en 2009, 2010 ou 2019.
« … »
La réponse d’Hervé Berville attendue tout au long de l’émission par Camille Etienne suite à sa question : « la pêche industrielle est la première cause de destruction de l’océan, quand est-ce qu’on s’y attaque sérieusement ? ». Le calme plat. Faute de réponse concrète de la part du secrétaire d’État, la jeune activiste s’adresse au public dans une tirade habitée. « Dans le monde, ce qui marche encore mieux que l’espoir, c’est l’action. Qui que vous soyez, où que vous soyez, votre existence dépend directement de l’océan. Donc je vous en prie, dédiez la vôtre à le protéger. Rejoignez les associations. Faites des dons. Restez intranquilles, debouts et droits. Sans océan il n’y a plus de vous, et pourtant il est sublime et il nous bouleverse ».
À lire aussi :
Assises de l’économie de la mer à Nantes : qu’en retenir ?
Réchauffement climatique : les températures des océans battent des records
We Spot Turtles ! : l’application créée par Nicolas pour sauver les tortues marines