Le nitrite dans le jambon : c’est quoi ?

Par Anaïs Hollard , le 12 février 2025 - 10 minutes de lecture

The nitrite is the new gluten ? Ce truc un peu obscur dont on dit qu’il est mauvais, sans trop savoir pourquoi, c’est en fait un additif alimentaire, principalement utilisé dans les charcuteries, histoire d’empêcher le développement de bactéries pathogènes (salmonelles, listeria, etc.) et éviter la production de toxines1. Accessoirement, c’est aussi ça qui donne cette jolie couleur rosée à votre jambon. Le hic, c’est que l’ANSES a noté un lien entre le risque de cancer colorectal et l’exposition aux nitrites et ça, ça fait peur. Alors, quand on dit que tout est bon dans le cochon, mieux vaut revoir notre copie ! Quid du nitrite dans le jambon et ses conséquences…

Les nitrites : de quoi s’agit-il exactement ?

Les nitrites (NO₂⁻), vous en avez sûrement déjà entendu parler, et rarement en bien. Ces additifs alimentaires, présents notamment dans la charcuterie industrielle, sont régulièrement pointés du doigt pour leurs risques sur la santé. Ils sont ajoutés sous forme de sels nitrités (E249, E250) dans des aliments comme :

  • Le jambon, les saucissons, le bacon, les lardons
  • Certains poissons fumés et fromages

Ce sont également eux qui sont responsables de la fameuse couleur rose des charcuteries cuites. Leur avantage (parce qu’il en faut bien) ? Ils protègent ces denrées du rancissement, et surtout, ils empêchent la prolifération de bactéries dangereuses comme le Clostridium botulinum, responsable du botulisme.

Là où le bât blesse, c’est que les nitrites réagissent chimiquement avec le fer héminique de la viande, ce qui forme des composés N-nitrosés. Parmi ces composés : le fer nitrosylé, dont la consommation est associée à un risque accru de cancer colorectal. Grosso modo, le process est le suivant : 

  1. Ajout des nitrites : dans la charcuterie industrielle (comme le jambon, le saucisson, le bacon…), on ajoute des sels nitrités (E249 ou E250) pour leurs propriétés conservatrices.
  2. Réaction chimique avec la myoglobine : les nitrites vont réagir avec le fer contenu dans la myoglobine, la protéine responsable de la couleur rouge de la viande. Cette réaction crée un composé stable : le fer nitrosylé.
  3. Une couleur rose durable : alors que la viande cuite normale devient grise ou marron en raison de l’oxydation du fer, le fer nitrosylé fixe la couleur rose et l’empêche de disparaître avec le temps.

Malgré les risques, les industriels ont la main lourde sur ces fameux nitrites. Une utilisation répandue qui a de quoi inquiéter les scientifiques, en témoigne l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES). Mais voyons plutôt ça…

Jambon, nitrites et cancer : il n’y a qu’un pas !

Si les nitrites sont présents dans notre quotidien via différentes sources (certains légumes, l’eau potable, etc.), plus de la moitié de l’exposition provient de la consommation de charcuterie, du fait des additifs nitrités utilisés pour leur préparation2. Et c’est tout le problème ! Parce que ces composés, une fois ingérés, sont connus pour engendrer la formation de composés nitrosés, dont certains sont cancérogènes et génotoxiques pour l’être humain.

Pour qu’on comprenne bien là où ça pose problème, il convient de rappeler qu’après analyse, l’ANSES « confirme l’existence d’une association entre le risque de cancer colorectal et l’exposition aux nitrites et/ou aux nitrates, qu’ils soient ingérés par la consommation de viande transformée, ou via la consommation d’eau de boisson. Plus l’exposition à ces composés est élevée, plus le risque de cancer colorectal l’est également dans la population. » Pour cette raison, l’Agence « considère que l’ajout intentionnel des nitrites et des nitrates dans l’alimentation doit se faire dans une approche “aussi bas que raisonnablement possible” ». 

Le souci, c’est que malgré le caractère néfaste des nitrites, eh bien, ils présentent quand même l’avantage de maîtriser le risque de contamination du jambon (et des charcuteries en général) par des bactéries pour le moins dangereuses, comme ​​la salmonellose, la listeriose ou le botulisme. 

Les nitrites, c’est un peu comme votre ex·e toxique, iel avait des défauts gros comme le monde, mais iel avait une ou deux qualités qui vous ont fait traîner la patte sur la rupture (et qui sommes-nous pour vous en tenir rigueur ?!)…

Du coup, pour limiter au maximum le risque de contamination des aliments nitrités, il faut trouver des alternatives et prendre des mesures adaptées à chaque produit. Pour le jambon, par exemple, le truc, c’est d’ajuster la date limite de consommation (DLC), ou encore de contrôler strictement le taux de sel et la température au cours des étapes de salage, de repos et d’affinage du produit.

Les nitrites dans le jambon : quelles-sont les règles ?

Il existe bel et bien une réglementation concernant l’utilisation des nitrites dans l’alimentation. Et c’est la même pour (presque) tous les pays de l’UE : une dose d’incorporation maximum de 150 mg de nitrites par kilogramme de charcuterie. Le nitrate n’est autorisé que dans les produits non cuits à la dose de 150 mg/kg (250 mg/kg pour quelques spécialités traditionnelles)3.

Pourtant, le Danemark a quant à lui fixé des teneurs d’incorporation plus basses dans certaines de ses productions de charcuterie. C’est donc possible d’utiliser moins de nitrites sans faire attraper le botulisme à toute une population ?! 😯 Il semblerait que oui. Seulement, dans l’UE, on passe encore un peu à côté de l’info.

Bon, la bonne nouvelle quand même, c’est qu’en France, depuis 2016, « les efforts menés par les professions français (artisans et industriels) pour améliorer les conditions de conservation des produits et l’application des bonnes pratiques d’hygiène ont permis une réduction volontaire de 20 % des teneurs en nitrites et nitrates incorporés dans les charcuteries qui en contiennent, par rapport aux quantités autorisées par la réglementation européenne3. » Ce qui fait que la France et le Danemark sont désormais les pays européens qui présentent le plus faibles taux de nitrite dans leurs charcuteries. 

Par ailleurs, en 2023 et suivant les recommandations de l’ANSES, le gouvernement a mis en place un plan d’action, afin de définir une trajectoire de réduction des nitrites et nitrates introduits sous formes d’additifs dans les produits de charcuterie produits dans l’Hexagone. Au programme : 

  • Des baisses d’additifs nitrés à court et moyen terme ;
  • La suppression totale des nitrites d’ici à 5 ans, grâce au concours des instituts scientifiques, pour développer des solutions alternatives4.

Si le plan est suivi à la lettre, personne n’aura à taper sur les doigts du gouvernement (pour une fois). Alors, plus qu’à attendre le résultat !

Le jambon sans nitrites : ça dit quoi ?

Eh bien, finalement, si l’on en croit l’UFC Que Choisir, c’est pas trop mal. Dis-donc, pour une fois qu’on a rien à dire, ça mériterait presque une fiesta. Du côté des grands industriels (dont on ne citera pas le nom, parce qu’on ne va pas pousser et leur faire de la pub, tout de même), des efforts sont réalisés et les jambons estampillés sans conservateurs semblent tenir la route. L’UFC a en effet sélectionné deux références du genre, pour les faire analyser par un laboratoire indépendant. Bilan : l’ensemble des analyses de nitrates et de nitrites révèlent des teneurs inférieures aux seuils de détection analytiques. De même, côté sel, le résultat est plutôt encourageant5.

Cependant, pour Béatrice de Reynal, médecin nutritionniste, cette étiquette « sans nitrites » prend des allures de trompe-l’œil. En effet, « sur la liste des ingrédients, il n’y a pas de sels nitrites […] Le problème, c’est qu’ils mettent des extraits végétaux qui sont très riches en nitrates. Pendant le process, il y aura une création de nitrite. », de fait, « il n’y a pas de sels nitrites dans la recette, mais dans votre assiette, il y en aura6. » 

Pour cette raison, les nutritionnistes conseillent de manger au maximum deux tranches de jambon industrielles par semaine et de se fier à sa couleur : plus il est gris, moins il contient de nitrites !

Jambon sans nitrites or not ?

Vous pensiez que l’on allait s’arrêter là ? C’est mal nous connaître ! Parce qu’avec ou sans nitrites, il faut bien avouer que le jambon a ses conséquences : sur votre santé, mais aussi sur la planète !

Si vous vous demandez quel impact écologique a vraiment votre assiette, Agribalyse est l’outil qui peut vous répondre. Cette base de données environnementale, pilotée par l’ADEME (Agence de la transition écologique) et l’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), passe au crible l’impact environnemental de milliers de produits agricoles et alimentaires.

Objectif ? Mettre cartes sur table en donnant une vision scientifique et transparente des effets de notre alimentation sur la planète. Alors, nous nous sommes amusés à jeter un coup d’œil à l’impact du produit de charcuterie le plus consommé en France. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que côté bilan carbone, le résultat n’est pas bon…

  • Le jambon cru : 13,6 kg CO2 / kg de produit ;
  • Le jambon sec : 13,6 kg CO2 / kg de produit ;
  • Le jambonneau cuit : 7,65 kg CO2 / kg de produit.
Vous voulez vérifier par vous-même ? 
Rendez-vous directement sur le site Agribalyse, mis en place par l’Ademe !

À titre de comparaison : 

  • Une galette aux lentilles, soja et légumes : 1,68 kg CO2 / kg de produit ;
  • Une purée de courgettes : 1,21 kg CO2 / kg de produit ;
  • Une saucisse végétale au tofu : 1,21 kg CO2 / kg de produit.

Et contrairement à la charcuterie –  dont le Programme national Nutrition Santé (PNNS) recommande de limiter la consommation à 150 g par semaine – ces aliments peuvent être consommés à foison.

Alors, si vous voulez prendre soin de votre santé ET de la planète, qu’est-ce que vous diriez de faire l’impasse sur la charcuterie pour passer au végétal ? 😉

Sources : 

1INRAE – Nitrites dans les charcuteries, le point sur nos recherches
2ANSES – Réduire l’exposition aux nitrites et aux nitrates dans l’alimentation
3agriculture.gouv.fr – Nitrites/nitrates dans les produits de charcuterie : un usage historique, aujourd’hui encadré par la réglementation
4agriculture.gouv.fr – Nitrites / nitrates : le Gouvernement définit une trajectoire ambitieuse de réduction des additifs nitrés dans les produits alimentaires
5Que Choisir – Que valent les jambons sans conservateurs ?
6FranceInfo – Alimentation : que valent les jambons industriels « sans nitrite » ?

À lire aussi :

Manger moitié moins de viande permettrait à la France d’atteindre ses objectifs climatiques
Cuisine écologique : comment ravir ses papilles ET la planète ?
The Chef Tomy démocratise la cuisine végane

Anaïs Hollard

Captivée par les sujets liés à l’énergie, Anaïs a longtemps collaboré avec de grands acteurs du secteur, avant de choisir la voie de l’indépendance, en tant que journaliste web. Aujourd’hui, elle continue de délivrer son expertise en matière d’énergie et de transition écologique. Ses passions : la lecture, l’écriture (forcément) et les DIY créatifs !

Voir les publications de l'auteur