Pollution des eaux littorales : le système d’assainissement est-il la cause du problème ?

Par Gaëlle Coudert , le 16 janvier 2024 — pollution - 8 minutes de lecture
Bassin d'Arcachon - wharf

À la Teste de Buch, le wharf de la Salie rejette en mer les déchets ultimes des stations d’épuration du bassin d’Arcachon et les effluents des usines de pâte a papier de la region, Crédit photo : Philippe Roy/Aurimages via AFP

Plusieurs plaintes ont été déposées à la suite de la contamination d’huitres par le norovirus ces dernières semaines. Les réseaux d’assainissement du littoral sont mis en cause. Une problématique qui a aussi d’autres conséquences environnementales et sanitaires.

Peu d’huitres ont été servies au Nouvel an cette année. La faute aux interdictions de vente faites notamment aux ostréiculteurs du bassin d’Arcachon, par arrêté préfectoral du 27 décembre. Cette interdiction devrait être levée le 17 janvier 2024, « sous réserve que les analyses soient favorables ». Des analyses faites à la suite de nombreux cas de gastro-entérite après Noël avaient révélé la présence de norovirus (virus responsable de la gastro-entérite) dans le Bassin d’Arcachon. D’autres interdictions de vente ont suivi, pour des raisons similaires, ailleurs dans l’Hexagone, notamment dans le Calvados, la Manche, la Vendée, les Landes (pour les huitres du lac d’Hossegor), et la semaine dernière, au Mont-Saint-Michel.

Quand les stations d’épuration débordent…

Le 29 décembre 2023, une association fondée par des ostréiculteurs, l’ADEBA (Association de Défense des Eaux du Bassin d’Arcachon) a annoncé avoir déposé plainte à l’encontre du SIBA, le Syndicat Intercommunal du Bassin d’Arcachon, organisme chargé de l’assainissement. L’association met en cause le système d’assainissement des rives du bassin, débordé par les fortes précipitations de l’automne. Contacté par Deklic, le SIBA n’a pas répondu à la demande d’interview. 

La gronde ne faiblit pas, au contraire. Le 11 janvier 2024, la Coordination Environnement du Bassin d’Arcachon (CEBA) qui regroupe une vingtaine d’associations locales a porté plainte à son tour. Une enquête a été ouverte par le parquet de Bordeaux dans le prolongement de ces plaintes.

Même réaction plus au nord : le 11 janvier 2024, le Comité régional de la conchyliculture (CRC) des Pays de la Loire a annoncé à l’AFP avoir déposé trois plaintes contre X après les interdictions de commercialisation d’huîtres en Vendée et en Loire-Atlantique. En effet, ce problème de sous-dimensionnement des infrastructures est pointé par tous. « Nous allons faire des points avec les collectivités pour accélérer les investissements là où c’est nécessaire », avait assuré à la veille du Nouvel An l’ex-secrétaire d’Etat à la mer, Hervé Berville. Affaire à suivre donc.

« Le problème a pour origine une gestion des eaux pluviales catastrophique », explique Thierry Lafon, ostréiculteur, président de l’ADEBA et ancien dirigeant du Comité Régional de la Conchyliculture Arcachon Aquitaine (CRCAA), à propos de la situation girondine. Pour lui, ce n’est pas seulement la taille des infrastructures, mais toute la politique de gestion des eaux pluviales qui est à revoir. 

Il critique notamment le « bétonnage », via le comblement de fossés et de crastes ou la politique de l’infiltration à la parcelle insuffisante et mal appliquée. « On omet un point fondamental, c’est que dans le sol il y a déjà de l’eau. Et à cette saison, le niveau de l’eau est tellement haut qu’il n’y a plus de volume disponible pour infiltrer les eaux de pluie. Elles vont ruisseler et les zones basses du territoire vont être inondées. Quelques centimètres d’eau sur la chaussée vont suffire pour noyer le système d’assainissement. Ça injecte des volumes d’eau trop importants par rapport à la capacité du réseau qui est complètement saturé. Le surplus est envoyé dans des bassins qui stockent les eaux usées, mais ils n’ont pas une capacité énorme, et là comme l’épisode a duré, ça a débordé. Les bassins ont donc relâché des eaux brutes dans le milieu naturel », détaille-t-il.

Si le débordement a mené ici à une contamination des huitres, c’est en raison de l’épidémie concomitante de gastro-entérite, causée par le norovirus, passé de l’homme à l’huitre, puis de l’huitre à l’homme. « Dans des conditions normales, le débordement crée juste un problème bactériologique, mais ça ne dure pas longtemps avec l’effet tampon de l’océan », estime Thierry Lafon. Pas comme le norovirus qui résiste dans le temps. « Le réseau d’assainissement ne tient pas en compte qu’à cause de la mauvaise gestion du pluvial et le déni total de la réalité des nappes, on se trouve dans une situation vite catastrophique », résume-t-il.

… l’océan en pâtit

Effet tampon ou non, ce qui se déverse dans l’océan lors des épisodes de pollution a des conséquences non négligeables sur l’environnement et sur l’homme. « Tout se retrouve dans l’eau lorsque les stations d’épuration débordent, pointe Marc Valmassoni, chargé de campagne chez Surfrider Foundation, association qui œuvre pour la protection de l’océan. Tous les résidus d’hydrocarbures qui sont sur la chaussée, si des territoires agricoles sont proches : des engrais ou pesticides, toutes les substances médicamenteuses issues des centres hospitaliers finissent dans l’océan. Là je parle de pollution chimique donc invisible. Mais il y a aussi tous les microdéchets ou macrodéchets qui se retrouvent sur la route et qui au lieu d’être grillagés ou filtrés par les stations d’épuration vont ensuite se retrouver dans la mer. Il y a tout un cocktail de polluants à terre qui finissent dans le milieu aquatique qui devient contaminé et chargé en pollution ». Quelles sont les conséquences de cette pollution protéiforme ? « Il y a impact environnemental, pour la biodiversité marine, notamment tous les micro-organismes proches des côtes, mais aussi des enjeux sanitaires », souligne Marc Valmassoni. 

Problématique généralisée

Des enjeux sanitaires qui ne se limitent pas à cette récente contamination par le norovirus dénoncée par les ostréiculteurs. Au Pays basque, ce ne sont pas les huitres, mais les surfeurs qui font les frais de la saturation du système d’assainissement. Ils sont nombreux à se plaindre d’otites, conjonctivites ou gastro-entérites lorsque leurs sessions de surf suivent les épisodes de fortes pluies.   

« L’enjeu c’est aussi la baignade. On sait que quand il pleut l’eau va être contaminée, ça fait partie du paysage au Pays basque, pointe Marc Valmassoni. Mais l’assainissement, c’est problématique partout, pas seulement au Pays basque. » Il explique, lui aussi, que la bétonisation liée à l’urbanisation, qui ne permet pas à l’eau de s’écouler dans les nappes phréatiques, est largement en cause, de même que l’augmentation croissante de la population littorale. Les stations d’épuration, déjà vétustes pour certaines, deviennent ainsi également sous-dimensionnées, d’autant que les épisodes pluvieux intenses sont de plus en plus fréquents en raison du réchauffement climatique.

Quelles solutions ?

Selon lui, les collectivités s’intéressent sérieusement au problème, mais il reste beaucoup à faire. La directive européenne sur les eaux résiduelles urbaines en cours de révision cette année devrait renforcer les obligations des agglomérations en matière d’assainissement des eaux. Les grandes agglomérations (de plus de 200 000 ou 300 000 habitants) devront certainement, en plus du traitement bactériologique, prévoir un traitement chimique avant de rejeter les eaux, explique Marc Valmassoni. « Même si on peut le comprendre, malheureusement les petites communes n’auront pas de traitement chimique. Dans le meilleur des mondes, il faudrait que tout le monde soit équipé avec un traitement chimique ou qu’on émette de moins en moins de pollution chimique, ça éviterait de faire du curatif. » 

Si le parc d’assainissement doit être redimensionné et adapté, d’autres solutions peuvent être envisagées en parallèle. « Il existe des solutions alternatives, rappelle Marc Valmassoni. Il faudrait notamment désimperméabiliser les sols. Cassons du béton pour que l’eau puisse rejoindre les nappes. Ça va limiter l’eau qui a besoin d’être traitée. On peut aussi envisager des traitements par la phytoépuration dans de petites agglomérations. Il faut aussi travailler sur la sensibilisation des gens en amont pour qu’ils pensent par exemple à ramener les médicaments inutilisés en pharmacie, à faire installer des doubles chasses pour rejeter moins d’eau dans le système… Tout ça mis bout à bout permettrait de désengorger nos stations d’épuration. »

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Gaëlle Coudert

Ancienne avocate parisienne reconvertie en journaliste basée dans les Pyrénées-Atlantiques, Gaëlle s’est spécialisée sur les sujets liés à l'écologie. Elle a cofondé le magazine basque Horizon(s), a été rédactrice en chef d'ID, l’Info Durable et rédige aujourd’hui des articles pour divers médias engagés dont Deklic. Ses passions : le sport (surf, yoga, randonnée) et la musique (guitariste et chanteuse du groupe Txango)

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