Volte-face : Lisa, de l’audit à la rénovation énergétique : « Je n’étais plus en phase avec ce que je faisais »

Par William Buzy , le 30 août 2023 — Volte-face - 7 minutes de lecture
Portrait de Lisa. Crédit DR

Portrait de Lisa. Crédit DR

Promise à une grande carrière au sein des géants internationaux de l’audit et du conseil, Lisa s’est, au fil des années et de ses transformations, sentie en décalage avec son environnement. À 27 ans, elle a enfin trouvé un projet professionnel en phase avec sa prise de conscience écologique.

De la volte-face, il n’y a pas que la version soudaine et radicale. Il y a aussi celle, plus douce mais pas moins juste, qui peu à peu fait se retourner du côté opposé à celui qu’on regardait jusqu’ici. Ce mouvement tranquille, mais sûr de sa force, c’est celui qu’opère Lisa depuis quelques années.

L’éveil tranquille et sûr

Pourtant, rien a priori ne la poussait vers une conscientisation écologique, qui devait guider son quotidien, mais aussi sa vie professionnelle. « L’écologie est un sujet qui n’était pas du tout présent dans ma famille, explique-t-elle. J’ai grandi dans un cercle familial qui n’était pas sensibilisé. » Quand Lisa quitte son Toulouse natal pour étudier et travailler à Paris, c’est pour faire ses classes parmi les grands : EY puis PwC, deux géants de l’audit financier et du conseil, membres du Big Four (les quatre plus grands cabinets au niveau mondial : Deloitte, EY, KPMG et PwC). « Quand je suis rentrée dans mes premières grosses entreprises, tout le monde voyait ça comme une consécration. »

C’est à cette période, pourtant, que commence le chemin. « C’est vraiment avec l’indépendance et la vie seule que j’ai découvert certaines choses, se souvient Lisa. J’allais au marché, je ne voyais pas de tomates en hiver, et en me renseignant j’ai commencé ma sensibilisation. C’est toute une série de petites choses, de l’autoformation, qui m’ont fait prendre conscience. Petit à petit, j’ai creusé. Ce n’est pas un déclic, c’est quelque chose de très progressif. »

Au travail, Lisa enchaîne les levées de fonds, travaille sur des projets comptables et financiers complexes pour de grosses boites. À la maison, elle lit des livres et écoute des podcasts sur les enjeux environnementaux. « Il y a des choses très bien documentées, se réjouit-elle. J’ai aussi la chance d’avoir fait mes études dans une université publique, où ces sujets sont abordés. »

La fracture discrète

Quelques virages s’opèrent dans sa vie de tous les jours. « Je me suis tout de suite dit qu’il fallait que je m’adapte pour avoir un comportement qui détruise moins ce qui m’entoure. Ça s’est fait progressivement, par différentes strates. Au début ça a été des choses simples : consommer de la seconde main, m’alimenter avec des produits de saison… Petit à petit, j’ai fait des choix un peu plus structurants, comme le fait de moins prendre l’avion. »

Le fossé avec sa vie professionnelle se creuse peu à peu, sans que Lisa n’en prenne forcément conscience. C’est le corps qui s’est finalement rappelé à la tête. « Je suis tombée malade. Mais je travaillais tellement et j’étais tellement déconnectée que je ne m’en suis même pas rendu compte. J’ai finalement découvert ça au moment où ça aurait pu devenir grave. » Cet avertissement tiendra lieu de déclic. « Ça a fait office de réveil. J’ai compris que quand on travaillait beaucoup, on ne faisait plus attention à soi. Après cet événement, j’ai réalisé que je n’étais plus du tout en phase avec ce que je faisais. »

L’alignement retrouvé

Lisa trouve alors un projet plus en harmonie avec son virage : une start-up éco-responsable, qui œuvre à la réduction des émissions de CO2 pour les livraisons. L’expérience lui plaît beaucoup, mais 15 mois plus tard, elle s’arrête brutalement, laissant Lisa avec ses doutes. « Passer d’un très gros groupe à une petite entreprise, c’était compliqué. Les montagnes russes de la petite structure sont difficiles à vivre. » En parallèle, le regard de la famille questionne. « Quand j’ai quitté les gros cabinets, ça a été un moment difficile. La vision parentale autour de la carrière, de l’indépendance financière… Ce sont des sujets qui inquiètent mes proches. »

Alors, Lisa retrouve un acteur de l’audit, de l’expertise comptable et du conseil. Mais la magie n’opère plus. « Je me suis de nouveau retrouvée face à de gros clients, avec beaucoup de croissance externe, beaucoup d’enjeux financiers très intéressants, mais qui ne me parlaient plus. J’avais construit une réflexion que je m’appliquais au quotidien, et travailler dans une entreprise avec des objectifs différents créait un trop gros décalage. Je ne me sentais plus à ma place. J’avais l’impression de revenir en arrière. »

Une nouvelle fois, Lisa prépare son départ. Avec moins de précipitation, cette fois-ci. Elle cible la thématique écologique, mais aussi un autre type d’entreprises. « Je crois de plus en plus aux petites structures, sans forcément d’investisseurs, avec une croissance plus raisonnée. » L’occasion, aussi, de retrouver un autre rythme de travail. « Je voulais quelque chose qui ait du sens, et qui me laisse du temps pour d’autres projets, que ce soit pour du bénévolat dans différentes associations, ou tout simplement pour faire du sport, avoir d’autres activités… » Elle rejoindra finalement une entreprise qui fait de la rénovation énergétique pour les bâtiments, notamment pour les bailleurs sociaux.

L’épanouissement authentique

Avec le soutien de sa famille ? « Je leur ai expliqué le chemin de vie que je souhaitais prendre, je pense que ça a changé leurs attentes à mon égard. Maintenant, ça fait un moment que ça dure, donc ils comprennent. » Les choix de Lisa n’ont en revanche jamais altéré ses amitiés. « Mes amis me disent d’aller là où je me sens bien. On voit quand même qu’il y a des chemins de vie qui divergent, mais je ne me sens pas jugée et je ne les juge pas non plus. »

Il aura fallu plusieurs années à Lisa pour trouver sa place. Pour harmoniser sa prise de conscience avec sa route professionnelle. Il en faudra sans doute encore beaucoup d’autres pour tendre vers un idéal qui reste à construire. « Je crée de nouvelles amitiés, je cherche des modes d’actions qui me correspondent, j’essaye de transmettre des récits positifs, de fuir l’éco-anxiété… Je réfléchis aussi toujours à mon mode de vie, je pèse le pour et le contre de l’urbain et du rural. » Pour une prochaine étape ? « Qui sait ? », sourit la jeune femme, qui se sent désormais plus forte dans ses choix. « Parfois, quand je vois tous mes amis autour de moi installés dans de très belles carrières, je pourrais avoir un moment de doute. Mais je suis sûre de mon choix. »

Quand la tête hésite, le corps répond. Lisa est bien placée pour le savoir, elle dont le déclic est venu de là. Et aujourd’hui, la réponse est limpide. « Au quotidien ce n’est pas tenable de faire quelque chose qui n’est pas en accord avec ce que l’on est. En fait, je n’ai pas vraiment l’impression d’avoir le choix : c’est là que je me sens bien. »

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William Buzy

Écrivain et journaliste, William Buzy a fondé le média Impact(s), spécialisé dans la journalisme de solutions, et fait partie d’un collectif adepte du journalisme littéraire et du documentaire. Auteur de plusieurs romans, il a également publié des récits et des essais sur le journalisme.

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