Flore Berlingen de l’Observatoire du pollueur-payeur : « Ces questions sont au cœur des politiques environnementales »

Par Gaëlle Coudert , le 18 janvier 2024 — pollution - 9 minutes de lecture
Flore Berlingen

Flore Berlingen a co-fondé l’Observatoire du pollueur-payeur fin 2023, Crédit DR

Le 13 décembre 2023 a eu lieu à Paris la soirée d’inauguration de l’Observatoire du pollueur-payeur. Cette nouvelle association, qui a pour objet de s’interroger sur ce principe et son application a été co-fondée par Flore Berlingen, autrice du livre Permis de nuire, coordinatrice du plaidoyer de « En Mode Climat », et ancienne directrice de Zero Waste France. Elle nous raconte l’émergence de ce projet commun.

Peux-tu nous en dire plus sur le fonctionnement de l’Observatoire du pollueur-payeur ?

C’est une association qui aura pour but d’observer, de faire une veille sur l’application du principe pollueur-payeur sous ses différentes formes. Le principe du pollueur-payeur se traduit par de très nombreux mécanismes qui vont des filières REP (responsabilité élargie du producteur), jusqu’au marché carbone en passant par le mécanisme de compensation ou la fiscalité environnementale. Ce principe prend donc de multiples formes et l’observatoire aura pour but de les observer, de les analyser, de faire une veille et de vulgariser ces sujets. L’un des points de départ de ce projet, c’est le fait qu’on ne discute pas beaucoup de ces mécanismes en dehors des cercles professionnels directement impliqués. Il y a peut-être un déficit de débat public là-dessus, parce que ce sont souvent des mécanismes un peu complexes, il faut souvent un bon niveau technique pour en comprendre les subtilités. J’aimerais qu’on arrive à baisser la barrière à l’entrée, pour qu’un vrai débat public puisse se faire, parce que ces questions sont vraiment au cœur des politiques environnementales depuis le début de la promotion du principe pollueur-payeur par l’OCDE dans les années 70.

Moi au départ, j’ai commencé à aborder le principe du pollueur-payeur au travers des filières REP, ça a été mon point de départ suite à mon expérience d’une dizaine d’années chez Zero Waste France et j’ai voulu en 2022-2023 élargir l’analyse à d’autres mécanismes pour voir si les limites et les biais que j’avais pu observer dans le champ des filières REP se retrouvaient aussi dans d’autres types de mécanismes. Ça ce serait le deuxième objectif de l’observatoire. Au-delà de permettre le débat public, il y a la question de comment on améliore ces mécanismes pour améliorer les politiques environnementales et leur efficacité.

Le principe du pollueur-payeur, qu’est-ce que c’est exactement ?

Ce qui est amusant, c’est que c’est une formule que tout le monde connait. C’est plus un slogan qu’un concept vraiment bien défini au niveau académique. Ça fait à la fois son efficacité et sa popularité. On peut difficilement être contre ce slogan et en même temps, derrière la simplicité de la formule c’est quand même assez difficile de définir son périmètre. Il y a des fondements théoriques dans le champ de l’économie et du droit qui ont fait l’objet de mon enquête et de mon livre Permis de nuire qui a été publié fin 2022. Pour autant, les chercheurs ne s’accordent pas sur une définition ou un périmètre pour dire quels sont les mécanismes qui relèvent du principe du pollueur-payeur, ça peut varier d’un chercheur à un autre ou d’une institution à une autre. Ce qu’on peut dire, c’est que le principe du pollueur-payeur doit répondre à deux objectifs : l’objectif de financer, financer la prise en charge des dommages environnement, et plutôt par les pollueurs que par les citoyens en général. Le deuxième objectif est d’orienter les comportements. On se dit que si on fait payer les pollueurs, normalement, ils devraient réduire les pollutions à la source, parce que ce serait dans leur intérêt. Ce sont les deux intérêts du principe avec lesquels on peut difficilement être en désaccord.

La question, qui sera la question centrale de l’observatoire, est de savoir si dans la pratique ça fonctionne : est-ce que ça fonctionne sur le plan financier, est-ce qu’il y a de l’argent, suffisamment d’argent, est-ce que ce sont les bonnes personnes qui paient ? Et est-ce que ça fonctionne en termes d’orientation des comportements, autrement dit est-ce que ça fonctionne au sens environnemental, est-ce que cette incitation fonctionne pour éviter les dommages et pas seulement les réparer ? Il y a un troisième champ de questionnements pour cet observatoire sur les effets collatéraux de ce principe. Qu’est-ce que l’application de ces mécanismes produit ? Quelles sont les implications sur le plan démocratique et social ? Dans quelle mesure ça renforce dans certains cas l’influence et le pouvoir des pollueurs, qui ont la main sur les financements ? Et sur le plan social, la question de l’équité dans le paramétrage de ces mécanismes se pose : en faveur de quoi la distribution de l’argent se fait ?

Et qu’en est-il au niveau de la loi ?

Le principe du pollueur-payeur fait partie des grands principes du droit de l’environnement à la fois au niveau du droit européen et du droit français, aux côtés d’autres principes qui sont les principes de précaution, de prévention et d’information et de participation du public. Ces grands principes sont des principes chapeau du droit de l’environnement, ils ne sont pas hiérarchisés, il n’y en a pas un qui est plus important que l’autre. Mais moi la question que je me pose souvent c’est : « est-ce que le principe du pollueur-payeur renforce le principe de précaution ou est-ce que dans certains cas, au contraire, il l’affaiblit ? Ça revient à poser la question de l’efficacité de ces mécanismes de financement-là sur un plan environnemental. Dans certains cas, l’existence d’un mécanisme de financement peut faire un peu passer à la trappe toutes les démarches de prévention ou d’évitement qui pourraient exister.

Si je prends un exemple un peu plus concret, celui de la séquence ERC dans le droit de l’environnement français (Éviter Réduire Compenser) s’applique notamment aux projets d’aménagement du territoire, aux projets d’infrastructures, comme les autoroutes pour ne pas les nommer. Normalement, les aménageurs sont censés respecter cette séquence. C’est une hiérarchisation officielle qui dit qu’il faut avant tout éviter les dommages à l’environnement dans le cadre de ces projets, puis les réduire au maximum, et dans un dernier temps, s’il y a des dommages, il faut les compenser, financièrement ou par des actions qui compensent la destruction de la biodiversité. Dans la pratique, on voit que l’évitement et la réduction, sont des phases qui ne sont pas suffisent approfondies, parce que la question de la pertinence du projet est rarement posée. On considère que le projet va se faire. À la marge, on essaie de réduire un peu les impacts mais sans remettre en question le principe même du projet. Et surtout, on va voir combien ça coûte de compenser. C’est dans ce sens-là qu’on peut se retrouver avec d’éventuels effets pervers. Comme il existe un principe de financement, on ne pose plus la question de l’utilité ou l’intérêt des projets. 

Qu’est-ce qui t’a donné l’idée de créer cette association ?

C’est vraiment pour poursuivre le travail d’enquête autour du principe du pollueur-payeur que j’avais commencé avec mon livre, et de manière plus collective. Le livre c’est un premier aperçu, mais c’est un travail extrêmement vaste et compliqué. Et ce travail ne me semblait pas être porté par quelqu’un d’autre. D’autres acteurs s’emparaient de ces mécanismes un par un. Il y a des gens qui étudient le marché carbone, des gens qui travaillent sur les filières REP, mais il m’a semblé qu’il n’y avait personne qui le faisait avec une approche transversale, en essayant de voir quels étaient les points communs et les différences entre ces mécanismes. C’est le pari de cet observatoire de dire que cette approche transversale peut apporter des éléments d’analyse ou de proposition en plus de ce qui peut exister déjà.

Quelles sont les actions à venir ?

Des choses classiques seront faites : la production de contenu, de notes, de rapports. La production et la diffusion de connaissances, c’est quand même le cœur de l’action. La diffusion pourra se faire aussi sous la forme de conférences et de formations notamment de tous les acteurs qui gravitent autour des politiques publiques et qui parfois manquent de billes sur le plan technique pour faire des propositions pertinentes. Et par ailleurs, il y aura probablement des activités de plaidoyer, mais plutôt dans un deuxième temps.

On va lancer la semaine prochaine un premier chantier d’étude sur le champ des REP – je ne pense pas qu’on communiquera sur le sujet avant que le travail ne soit fait.  Et on a tout le travail de structuration et de mise en place des outils et premières ressources que l’on aimerait partager en tant qu’observatoire à faire. 

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Gaëlle Coudert

Ancienne avocate parisienne reconvertie en journaliste basée dans les Pyrénées-Atlantiques, Gaëlle s’est spécialisée sur les sujets liés à l'écologie. Elle a cofondé le magazine basque Horizon(s), a été rédactrice en chef d'ID, l’Info Durable et rédige aujourd’hui des articles pour divers médias engagés dont Deklic. Ses passions : le sport (surf, yoga, randonnée) et la musique (guitariste et chanteuse du groupe Txango)

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