Quotas carbone vs crédits carbone : quelles différences ?

Par Charlotte Combret , le 5 janvier 2024 - 5 minutes de lecture
La différence entre quotas carbone et crédits carbone

Les différences entre quotas et crédits carbone. Crédit : Patrick Siccoli / SIPA

Quel est le point commun entre le casse du siècle de Marco Mouly et la compensation des émissions d’un vol en avion ? Le carbone. Mais pour le reste, les sulfureux quotas carbone et crédits carbone, souvent confondus, sont des mécanismes bien différents.

Les quotas carbone dépendent d’un marché réglementé

La série D’argent et de sang (Canal+) a remis au goût du jour une des plus grosses escroqueries des années 2000 : la fraude à la TVA sur les quotas carbone européens. En 2005, l’Union européenne lance un Système d’échange de quotas d’émission (EU Emissions Trading System, EU ETS). Des entreprises énergivores et/ou polluantes obtiennent un quota de « droits à polluer » pour leurs infrastructures (usines, raffineries, etc.). Si elles le dépassent, elles doivent acheter des quotas d’émissions supplémentaires (un quota équivaut à une tonne de CO₂,). S’il leur en reste, elles peuvent les revendre aux enchères. 

Le total des quotas alloués doit baisser au fil des années pour inciter les entreprises à réduire leurs émissions (système de « cap and trade », plafonnement et ajustement). Leur prix est censé être assez élevé pour que les investissements dans la décarbonation soient attractifs. Actuellement en Europe, un quota vaut environ 80 euros mais de nombreux experts préconisent qu’il dépasse la centaine d’euros.

Le dispositif couvre environ 40% des émissions de l’Union européenne (plus l’Islande, le Liechtenstein et la Norvège), c’est-à-dire issues d’environ 10 000 installations des secteurs de l’énergie et de l’industrie mais aussi de compagnies aériennes. Une réforme adoptée mi-2023 prévoit une accélération des réductions des quotas et une extension progressive au secteur maritime, entamée le 1er janvier 2024, puis aux émissions des vols aériens intra-européens mais aussi au chauffage des bâtiments et aux carburants routiers.

La fraude a été permise par une faille du dispositif qui n’existe plus : la TVA appliquée aux quotas. Des sociétés fictives achetaient des droits d’émission de CO₂, hors taxe à l’étranger pour les revendre en France en encaissant la TVA normalement reversée à l’Etat. Le fisc français a officiellement perdu 1,6 milliard d’euros (selon Fabrice Arfi, journaliste d’investigation à Mediapart, la fraude serait plus de l’ordre de 2 à 3 milliards). Cette affaire a répandu l’expression « taxe carbone« , qui est pourtant un mécanisme distinct, qui consiste à imposer une taxe aux pollueurs en fonction de leurs émissions. En France, elle s’applique aux combustibles fossiles, dont le carburant, et c’est son augmentation qui fut le déclencheur du mouvement des Gilets jaunes.

La réforme des quotas européens s’accompagne par ailleurs de l’introduction future d’une taxe carbone « aux frontières » qui obligera les entreprises important dans l’Union européenne des marchandises polluantes (fer, acier, aluminium, ciment, engrais, électricité…) à payer une taxe sur le CO₂, émis lors de leur fabrication à l’étranger. Si un marché du carbone existe dans le pays de production, mais avec un prix moins élevé qu’en Europe – comme c’est le cas actuellement en Chine (10 dollars la tonne), en Californie (30 dollars en Californie) mais aussi en Nouvelle Zélande, en Corée du Sud et en Australie – l’importateur paiera la différence.

Les crédits carbone dépendent d’un marché volontaire

Les crédits carbone diffèrent des quotas carbone. Ils ne s’inscrivent dans aucun cadre obligatoire et sont achetés librement, par des entreprises qui souhaitent s’afficher « neutres en carbone », à des projets visant par exemple à protéger des forêts contre la déforestation. Chaque tonne supplémentaire de CO₂, absorbée ou stockée grâce à ces projets peut être utilisée par l’entreprise pour compenser ses propres émissions sur le papier.

Ce marché, supervisé par aucune instance, a explosé ces dernières années pour atteindre deux milliards de dollars en 2022 avant de ralentir en 2023, accablé par des enquêtes ayant remis en cause les bénéfices environnementaux et sociaux des crédits carbone. Le marché volontaire du carbone (Voluntary Carbon Market, VCM) est toutefois soutenu aussi par des entreprises et des pays, pétroliers en tête, qui voudraient continuer à produire des hydrocarbures en compensant ailleurs leurs émissions.

Tous les acteurs du marché souhaitent plus de régulation, pour restaurer sa crédibilité et des prix acceptables. Actuellement, les crédits carbone émis grâce à des projets de protection de la nature valent moins d’un dollar par tonne. Leurs espoirs reposent en partie sur les négociations qui auront lieu à la COP29 fin 2024 pour permettre aux pays d’acheter ces crédits pour réduire leur bilan carbone national. Le tampon d’un organe de supervision onusien pourrait ensuite être utilisé par les entreprises… et même par les individus souhaitant compenser leurs émissions.

(Avec AFP)

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Charlotte Combret

Issue d’une grande école de commerce, Charlotte délaisse rapidement les open spaces parisiens pour s’engager dans la voie de l’indépendance. Son désir de lier pédagogie et poésie la conduit à devenir journaliste rédactrice, dans les Landes, pour des entreprises et médias engagés. Ses passions : le cinéma animalier, les voyages en train, les lectures féministes et les jeux de mots en tout genre.

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