Glyphosate : Bruxelles veut renouveler son autorisation dans l’UE pour 10 ans

Par Charlotte Combret , le 22 septembre 2023 - 7 minutes de lecture
Un agriculteur qui pulvérise son champ avec un désherbant

Un agriculteur qui pulvérise son champ avec un désherbant. Crédit : Allili Mourad / SIPA

Après la publication d’un rapport de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) estimant que le niveau de risque ne justifiait pas l’interdiction du glyphosate, la Commission européenne a proposé mercredi aux États membres de renouveler l’autorisation de cet herbicide hautement controversé dans l’UE pour dix ans, sous conditions. Une position jugée « irresponsable » par la France.

Dix années de plus pour le glyphosate, c’est ce que propose Bruxelles. Renouvelée pour cinq ans en 2017, l’autorisation actuelle de l’herbicide dans l’UE expirait le 15 décembre 2022. Mais dans l’attente d’une évaluation scientifique, elle avait été prolongée d’une année. Cette période aurait pu marquer le déclin de l’utilisation de cette substance active sur le Vieux Continent, mais la Commission européenne semble en avoir décidé autrement. Elle entend renouveler l’autorisation de l’usage du glyphosate jusqu’au 15 décembre 2033. Une durée deux fois plus longue que la précédente, mais en-deçà de la période de quinze ans initialement prévue. Disponible en ligne, la proposition sera examinée ce vendredi par les représentants des Vingt-Sept, qui devront ensuite la valider à une majorité qualifiée lors d’une réunion prévue le 13 octobre prochain.

Un « cancérogène probable »

Si la Commission européenne formule une telle proposition, c’est qu’elle se base sur un rapport publié par l’EFSA début juillet, lui-même très controversé. Celui-ci conclut ne pas avoir identifié de « domaine de préoccupation critique » chez les humains, les animaux et l’environnement susceptible d’empêcher son autorisation. L’EFSA avait malgré tout relevé « un risque élevé à long terme chez les mammifères » pour la moitié des usages proposés du glyphosate et reconnu que le manque de données empêchait toute analyse définitive. C’est d’ailleurs la faiblesse de ce cadre qui est dénoncée par l’ONG Génération Futures. « Le rapport d’évaluation pour le renouvellement de l’autorisation du glyphosate (RAR) organise l’invisibilité des études universitaires mais dans le même temps considère comme acceptables des études de l’industrie pourtant clairement inacceptables car ne répondant pas aux exigences des lignes directrices de l’OCDE » titrait-elle dans une étude publiée en 2021. Pour Laurence Huc, directrice de recherche à l’Inrae et toxicologue, l’étude de l’EFSA ne répond à « aucun canon scientifique ». Sur Franceinfo, la chercheuse, spécialiste des pesticides, dénonce un « lobbying extrêmement fort et puissant ». Enfin, si l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) estime que les preuves scientifiques disponibles ne permettent pas de classer le glyphosate comme cancérogène, du côté du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le produit est classé comme un « cancérogène probable » depuis 2015.

Des « mesures d’atténuation des risques »

En guise de garde-fous, quelques recommandations fournies par Bruxelles. Les conditions d’utilisation de l’herbicide devront être assorties de « mesures d’atténuation des risques » concernant les alentours des zones pulvérisées, notamment par la mise en place de « bandes tampons » de cinq à dix mètres et l’usage d’équipements permettant de réduire drastiquement les « dérives de pulvérisation ». La Commission européenne fixe également des niveaux-limites pour certaines « impuretés » issues du glyphosate. De même, les États sont appelés à prêter attention à l’impact sur les petits mammifères, en envisageant « si nécessaire » des mesures d’atténuation ou des restrictions. Enfin, ils devront veiller à la protection des eaux souterraines susceptibles d’être exposées via l’infiltration comme aux eaux de surface, notamment celles utilisées pour le captage d’eau potable. Pour autant, ces mesures sont jugées très insuffisantes par plusieurs eurodéputés. Le président de la commission parlementaire Environnement Pascal Canfin déplore l’absence de « restrictions sérieuses d’usage » tout en dénonçant une « proposition pas acceptable », « non conforme aux conclusions de l’EFSA qui pointe de nombreuses zones grises ». « En détruisant la biodiversité, le glyphosate met en danger notre sécurité alimentaire à long terme. Cette proposition est irresponsable » réagit Benoît Biteau, député Vert européen. « Les intérêts industriels priment clairement sur la santé et l’environnement », avance encore l’organisation écologiste PAN Europe.

Des encadrements particuliers sous conditions

Il faut dire que l’interdiction du glyphosate à l’échelle nationale sera bien plus compliquée si cette proposition est votée. De fait, si la licence d’exploitation est reconduite au niveau de l’UE, chaque État membres encadrera l’usage du désherbant « quand c’est justifié » selon les cultures, les conditions climatiques et les spécificités locales. « Dans des cas extrêmes, des Etats peuvent théoriquement interdire tous les produits contenant du glyphosate », mais doivent pour cela avoir de solides justifications « dans le cadre des conditions » fixées par la législation de l’UE, explique un responsable européen. Le Luxembourg, qui avait interdit la commercialisation du produit fin 2020, a été contraint de lever l’interdiction en 2023 sur décision de justice. Situation comparable en Autriche : un vote du parlement pour bannir le glyphosate à partir de 2020 a été annulé fin 2019 en raison d’un vice de procédure. En France, Emmanuel Macron s’était engagé en 2017 à sortir du glyphosate « au plus tard » début 2021, avant de revenir sur sa promesse. Depuis, Paris s’est fixé comme objectif de sortir de l’essentiel des usages de la substance active du célèbre Roundup de Monsanto. En 2020, l’agence sanitaire française Anses a annoncé des restrictions progressives pour son usage dans l’agriculture, son utilisation par les particuliers étant prohibée depuis 2019.

L’appel des associations environnementales

« On demande à la France, à Emmanuel Macron de s’opposer à cette réautorisation du glyphosate et à cette mise sur le marché pour dix ans supplémentaires », implore Nadine Lauverjat, déléguée générale de Générations futures au micro de France Inter ce jeudi. L’association rappelle encore et encore les risques sanitaires relevés par les scientifiques de la recherche médicale française (INSERM) ainsi que les risques pour la biodiversité et les écosystèmes ignorés par les agences européennes. « La proposition de la Commission européenne est totalement à contre-courant des multiples crises auxquelles fait face le monde agricole, dans un contexte de réchauffement climatique et d’effondrement de la biodiversité » renchérit Ariane Malleret, chargée de campagne Agriculture à Greenpeace France dans un récent communiqué. Pour elle, il est « nécessaire de respecter le principe de précaution pour garantir un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement ».

La France s’y oppose

Un appel a priori entendu. « La France ne soutiendra pas la proposition de la Commission européenne de reautoriser le #glyphosate pendant 10 ans sans conditions et nous nous y opposerons au Parlement » annonce ce matin Pascal Canfin, sur son compte X (ex-Twitter). La proposition de Ursula von der Leyen est jugée insatisfaisante par l’Hexagone qui prône une « approche » selon laquelle le recours au glyphosate doit être restreint aux seuls usages pour lesquels il n’existe aucune alternative viable. « La France demande à ce que cette démarche soit harmonisée au niveau européen », a souligné le ministère de l’Agriculture. La proposition de Bruxelles intervient alors que les négociations entre Etats membres et au Parlement européen s’enlisent sur un ambitieux projet de législation imposant des objectifs de réduction des pesticides dans l’UE, dans le cadre du Pacte vert.

(Source AFP)

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Charlotte Combret

Issue d’une grande école de commerce, Charlotte délaisse rapidement les open spaces parisiens pour s’engager dans la voie de l’indépendance. Son désir de lier pédagogie et poésie la conduit à devenir journaliste rédactrice, dans les Landes, pour des entreprises et médias engagés. Ses passions : le cinéma animalier, les voyages en train, les lectures féministes et les jeux de mots en tout genre.

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