Infographie de l’évolution de l’agriculture bio en France : un coup de frein, des perspectives de relance

Par William Buzy , le 18 septembre 2023 — infographie - 8 minutes de lecture
Vaches dans un pré, Crédit ROBIN VAN LONKHUIJSEN / ANP VIA AFP

Vaches dans un pré, Crédit ROBIN VAN LONKHUIJSEN / ANP VIA AFP

Après 20 ans de développement, l’agriculture biologique marque un léger coup d’arrêt depuis deux ans en France. La faute, notamment, à l’inflation. Mais des leviers d’actions observés chez nos voisins européens laissent entrevoir de belles marges de progression.

C’est un peu l’histoire de la poule et de l’œuf. Faut-il développer un marché pour accroître la demande ou faire croître la demande pour développer un marché ? Le secteur de l’agriculture biologique en France se gratte la tête pour répondre à cette question. Car après des années d’efforts pour augmenter la part de bio dans la production, la demande, elle, a commencé à stagner, puis à reculer.

Le succès avait pourtant été au rendez-vous jusqu’ici. La part de bio dans la surface agricole utile totale en France était passée de 2,03% à 10,7% en quinze ans, et de plus en plus de Français réclamaient ces produits. Mais en 2021, pour la première fois, le marché a reculé de 1,3%. Une tendance confirmée en 2022, puisque la part de bio dans le panier des Français est passé de 6,5% à 6%, selon les chiffres publiés en juin 2023 par l’Agence française pour le développement et la promotion de l’agriculture biologique (Agence BIO).

« Si nous voulons atteindre notre objectif national de 18 % de bio dans les champs, il faut le retrouver dans les assiettes, prévient Loïc Guines, président de l’Agence BIO. Transition alimentaire et transition agroécologique vont de pair. » S’il se félicite du succès de la grande campagne pédagogique et commerciale menée en 2022 pour relancer l’intérêt des consommateurs pour les produits issus de l’agriculture biologique, il insiste sur l’intérêt d’actions coordonnées. « Le bio est l’affaire de tous. Face au ralentissement, la réponse doit être collective, aux côtés des pouvoirs publics. »

Pour repartir dans le bon sens, et pourquoi pas franchir la part de 10% de produits bio dans les assiettes des Français, comme l’ont déjà fait Danois, Autrichiens, Luxembourgeois ou encore Suisses, l’Agence BIO préconise des mesures fortes en matière d’information. « Nous le vérifions tous les jours : un citoyen informé sur le bio devient naturellement un consommateur averti, assure Laure Verdeau, sa directrice. Pour aller un cran plus loin, à nous de l’aider à en mettre un peu plus chaque jour dans son assiette. En expliquant les vertus du bio bien sûr, et surtout comment en manger sans bouleverser son budget.» Des actions à mettre en place le plus tôt possible, par exemple « en éduquant nos enfants à l’agriculture et l’alimentation favorable à la santé commune tout au long de la scolarité».

Du bio dans les kebabs

L’Agence conseille aussi de trouver de nouvelles possibilités hors de la maison, où se joue actuellement 92% de la consommation. « À nous de nous mobiliser pour trouver les débouchés, que ce soit dans les foyers, à la cantine, ou au restaurant. Kebabs, étoilés, pizzerias, brasseries… Tous les chefs ont leur rôle à jouer pour mettre en valeur et faire connaître les produits des agricultrices et agriculteurs bio. En clair, fini le fameux “salade, tomate, oignons”, place au “salade bio, tomate bio, oignons bio ».

Le marché des produits bio en restauration s’élève pourtant à 715 millions d’euros (hors taxe, tous circuits confondus), soit une hausse de 17 %. Mais, d’une part, la comparaison avec 2021 est légèrement faussée par les couvre-feux du premier trimestre cette année-là. D’autre part, les denrées bio représentent moins de 2% des achats des restaurateurs en 2022. Ça laisse une petite marge de progression…

Autre levier possible : la restauration collective. Les 80 000 cantines scolaires, restaurant d’entreprises ou d’administrations ne remplissent leurs frigos qu’avec 7% de denrées issues de l’agriculture biologique. Là aussi, le marché est important et peut progresser.

Des agriculteurs au rendez-vous

Car de l’autre côté du spectre, les agriculteurs ont joué le jeu. Ces quinze dernières années, la part des surfaces en mode de production bio dans la surface agricole utile (SAU) et la part des exploitations bio sur l’ensemble des exploitations agricoles en France ont sans cesse augmenté.

En 2022, le cap symbolique des 60 000 exploitations engagées tout ou partie en bio a été franchi. La filière génère 215 000 emplois directs et 71 000 emplois en aval (transformateurs, distributeurs…). D’ailleurs, les fermes bio créent davantage d’emplois que les autres, avec en moyenne 2,39 ETP contre 1,59 en non bio. 30% d’emplois en plus en raison de besoins plus importants en main d’œuvre agricole, mais aussi pour la vente à la ferme, pratiquée par 43% d’entre elles.

Mais là aussi, la tendance est au ralentissement. Certes, le nombre de producteurs engagés en agriculture biologique continue de progresser en 2022 (+3,5%), mais à un rythme nettement inférieur qu’en 2021 (+9 %). En outre, l’Agence BIO a enregistré une forte hausse des arrêts de certification biologique (3290 en 2022, contre 2 510 en 2021), même si elle tempère ce chiffre. « Parmi les arrêts de certification enregistrés en 2022, il apparait que la moitié des arrêts relève de départs à la retraite (liquidation, changements administratifs de l’exploitation ou autres cessions…), et non d’un changement dans le choix de conduite de la ferme » Si elle précise que « le solde entre les arrivées (9,1 %) et les sorties du bio (5,6 %) reste encore positif », elle admet cependant que ce chiffre « traduit un réel coup de frein dans la dynamique des conversions ».

Pour se rassurer, on peut noter que les surfaces certifiées bio (c’est-à-dire arrivées au terme de leur conversion et produisant des cultures bio mises sur le marché), progressent de 10 % en 2022. « Avec les surfaces en conversion, la France compte un total de 2,88 millions d’hectares conduits selon le cahier des charges de l’agriculture biologique, soit une progression de 4 % par rapport à 2021, souligne le rapport de l’Agence BIO. Les surfaces conduites en bio représentent 10,7 % de la surface agricole française totale. » Et les projections prévoient que la surface certifiée bio devrait encore augmenter de l’ordre de 10 % en 2023.

Quelle place en Europe ?

Des chiffres qui placent la France au sommet du continent en matière de surface. Personne ne cultive davantage de terres bio en Europe, et seule l’Allemagne a un marché plus important en termes de chiffre d’affaires. Mais pas de cocorico hâtif. Car ces classements flatteurs doivent beaucoup aux valeurs absolues des données utilisées. Proportionnellement à sa surface agricole utile totale, la France chute à la 13e place d’un classement dominé par l’Autriche et ses 26,5% de surfaces bio.

Au pays de Mozart (et de l’agriculture bio, donc), on a misé sur les cantines comme locomotive, et ce depuis les années 1990. L’objectif gouvernemental est d’atteindre 55% de bio en restauration collective d’ici 2030. Une stratégie gagnante que d’autres voisins utilisent aussi. Le Danemark a suivi dès 1997 avec un fonds pour soutenir les projets d’introduction de produits bio en restauration collective. L’Allemagne devrait sous peu augmenter à 30% la part obligatoire de bio dans les cantines (20% actuellement). Quant à l’Italie, c’est dès 1986 que le bio a fait son apparition dans les assiettes des écoles. La loi italienne prévoit aujourd’hui que les cantines scolaires utilisent au moins 50 % de produits biologiques.

À l’heure où le bio est freiné par la crise, en France comme ailleurs (-3,5% en Allemagne, -8% en Finlande…), l’heure est peut-être venue de s’appuyer sur ses deux jambes pour marcher : des objectifs ambitieux côté producteurs (comme celui de la Suède d’atteindre 60% de produits bio dans toutes les municipalités d’ici 2030), et un accompagnement fort pour changer les habitudes des consommateurs. « La transition alimentaire requiert autant de planification, de persévérance, et d’information que la transition énergétique », assène Laure Verdeau. Sur ce point, le président des Vignerons Bio Nouvelle-Aquitaine, Pierre-Henri Cosyns, abonde en reprenant les mots de Jean Nohain : « Aujourd’hui, plus que jamais, la réussite, c’est un peu de savoir, un peu de savoir-faire et beaucoup de faire-savoir. »

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William Buzy

Écrivain et journaliste, William Buzy a fondé le média Impact(s), spécialisé dans la journalisme de solutions, et fait partie d’un collectif adepte du journalisme littéraire et du documentaire. Auteur de plusieurs romans, il a également publié des récits et des essais sur le journalisme.

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