« L’Affaire du siècle » : l’État n’aura pas à payer la pénalité de 1,1 milliard d’euros réclamée par les ONG

Par Charlotte Combret , le 22 décembre 2023 - 5 minutes de lecture
Des membres du mouvement « L'Affaire du siècle » manifestaient devant le tribunal administratif de Paris, le 14 juin 2023

Des membres du mouvement « L’Affaire du siècle » manifestaient devant le tribunal administratif de Paris, le 14 juin 2023. Crédit : AFP

Le tribunal administratif de Paris a débouté ce vendredi 22 décembre les ONG de « L’Affaire du siècle ». Les associations de défense de l’environnement demandaient une astreinte financière de 1,1 milliard d’euros contre l’État français, l’accusant de ne pas agir suffisamment pour lutter contre le réchauffement climatique.

Le verdict tombe, mais pas l’État. Dans son jugement, le tribunal estime que la « réparation du préjudice écologique a été tardive mais est désormais complète », jugeant que « l’État, conformément à l’injonction qui lui avait été faite, avait adopté ou mis en œuvre des mesures de nature à réparer le préjudice en cause ». Il a ainsi suivi l’avis du rapporteur public qui, lors de l’audience du 8 décembre, avait déclaré que les dernières données en date concernant les émissions nationales de CO₂ – à savoir une baisse de 4,3% pour l’année 2023 et de 2,7% en 2022 – « permettaient de considérer que le préjudice avait entièrement été réparé ».

Un premier jugement en 2021

L’État français était une nouvelle fois poursuivi en justice par trois associations environnementales : Notre Affaire à Tous, Greenpeace et Oxfam. Réunies sous la bannière « L’Affaire du siècle », elles dénonçaient le non-respect par la France de ses engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, fixés dans la première Stratégie nationale bas carbone.

En février 2021, le tribunal administratif de Paris leur avait dans un premier jugement donné raison, déclarant l’État responsable de manquements à ses engagements et du « préjudice écologique » qui en découle. Puis en octobre de la même année, la justice avait ordonné que soient compensés le « 31 décembre 2022, au plus tard » les 15 millions de tonnes d’équivalent CO₂ (MtCO₂e) émis en trop par rapport aux objectifs de la France en 2015-2018.

Un recul lié à des facteurs « purement conjoncturels »

Les ONG estimaient que ce jugement n’avait pas été suivi d’effets et réclamaient cette fois des pénalités financières dans le cadre d’une nouvelle procédure lancée en juin 2023. Cette astreinte de 1,1 milliard d’euros correspondait à neuf semestres de retard déjà cumulés. Les associations avaient appuyé leurs calculs sur la méthode Quinet, du nom d’un haut fonctionnaire ayant publié il y a quelques années un rapport sur « la valeur de l’action pour le climat ».

Le jugement du tribunal administratif reconnaît que l’échéance du 22 décembre 2022 n’a pas été respectée, « la part du préjudice restant à réparer s’établissant à 3 ou 5 MtCO₂eq, selon les hypothèses retenues ». Mais il estime que la baisse des émissions au premier trimestre 2023 (- 4,2 %, soit 5 MtCO₂eq) a permis de compenser ce déficit. Il en conclut donc qu’il n’y « a pas lieu de prononcer des mesures d’exécution supplémentaires ».

L’autre argument des associations était que la baisse des émissions de gaz à effet de serre constatées en France à la fois pour l’année 2022 (-2,7%) et pour le premier semestre 2023 (-4,3%) était liée à des facteurs « purement conjoncturels » et extérieurs, comme un hiver doux l’an dernier ou la crise énergétique liée à la guerre en Ukraine, et non à la mise en place d’actions de la part de l’État. Le tribunal a jugé que ces éléments avaient certes « pu influer sur la baisse des émissions de CO₂ », mais qu’il n’y avait « pas lieu d’en neutraliser les effets ».

Déception chez les associations

La décision se faisait sentir. Lors de l’audience du 8 décembre, le rapporteur public estimait que de nombreuses mesures prises récemment par le gouvernement participaient « de la baisse des émissions », évoquant par exemple les incitations financières pour acheter un véhicule électrique, la lutte contre l’artificialisation des sols ou encore l’interdiction d’installer de nouvelles chaudières au fioul. Des mesures largement insuffisantes selon Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France, qui préférait citer à la sortie du tribunal la poursuite du projet de l’A69 dans le Tarn ou les forages pétroliers en Gironde comme des signes de « l’inaction climatique de l’État ».

Déjà, les militants n’avaient pas caché leur déception. « Ces conclusions dépolitisent complètement l’action étatique », réagissait Cécile Duflot, directrice générale d’Oxfam France dans un communiqué. Dans l’après-midi du 22 décembre, les associations ont annoncé se réserver « le droit de faire appel » du jugement qui vient d’être rendu.

« Par cette décision, le tribunal accepte l’idée que l’État aurait compensé le préjudice sans réelle intention de le faire », a commenté Jérémie Suissa, délégué général de Notre Affaire à Tous. « La justice doit être plus ambitieuse face à l’inaction climatique des gouvernements ». Ce vendredi, le tribunal pouvait choisir de ne pas suivre les conclusions du rapporteur, c’est pourtant bien ce qu’il a fait. 

(Avec AFP)

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Charlotte Combret

Issue d’une grande école de commerce, Charlotte délaisse rapidement les open spaces parisiens pour s’engager dans la voie de l’indépendance. Son désir de lier pédagogie et poésie la conduit à devenir journaliste rédactrice, dans les Landes, pour des entreprises et médias engagés. Ses passions : le cinéma animalier, les voyages en train, les lectures féministes et les jeux de mots en tout genre.

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