Volte-face : Blick en lutte contre le désert artistique en milieu rural
Un temps Parisien, il a fini par déserter la ville et bifurquer. Le dessinateur et réalisateur Blick, qui ne dévoile pas sa véritable identité, s’est installé dans le Jura en 2021 pour créer une résidence d’artistes… à son domicile, qu’il rénove, petit à petit.
Dans un village du Jura situé sur les hauteurs, il lance un regard sur son extérieur. Blick, comme il se présente, s’apprête à lancer en avril un nouveau chantier participatif à son domicile. « Cela fuit sur une partie du plafond », note-t-il, sourire en coin. Cela fait trois ans que l’artiste s’est posé dans ce département de l’est de la France. « J’ai mis longtemps à trouver le bon territoire. »
On veut comprendre sa démarche. « Je rêvais de quitter la ville. J’en avais marre du rythme urbain », explique celui qui a par le passé posé ses valises à Montpellier, à Lodz en Pologne, à Berlin, à Rennes, à Strasbourg et enfin à Paris. Depuis le nord-est de la capitale, son dernier quartier, Blick a observé comment, dit-il, « l’ambiance a basculé ». Pour lui, au quotidien, c’était « violent » et « anxiogène ». Il se souvient tout particulièrement du « son incessant des pompiers, de la police, des ambulances », insupportable. « Il y a une dureté de vie qui mène à une certaine inhumanité. » Blick raconte qu’il suffoquait, qu’il avait donc besoin de « fuir », loin, très loin.
Juste avant sa désertion urbaine, il aidait les Restos du cœur, distribuait la soupe et remarquait la paupérisation galopante. « On va droit dans le mur, lance-t-il. Alors, si c’est le cas, autant se démurer en milieu rural, on peut s’y installer autour d’un jardin nourricier et essayer de tendre vers l’autonomie alimentaire ou énergétique. »
Dans le Jura, « il se passe quelque chose »
Mais où ça ? Blick, aujourd’hui âgé de 53 ans, ne voulait pas déménager n’importe où, alors il a cherché son point de chute. Pendant près de huit ans, il a « testé », en quelque sorte, différentes régions. Blick s’est rendu au Pays basque, dans le Limousin ou encore en Isère. « J’ai fait du woofing, donné un coup de main aux paysans, participé à des chantiers participatifs, expérimenté diverses communautés… Mais, à chaque fois, ça n’allait pas. Je n’étais pas convaincu par le territoire ou la possibilité de résonance humaine. »
Lui a grandi en Camargue, à Aigues-Mortes dans le Gard, près de la mer qu’il aime, là où ses parents ouvriers avaient trouvé du travail. Mais il a aussi passé pas mal de temps en milieu rural, en Aveyron, terre d’origine de ses aïeux, « des gavots, les pieds dans la boue depuis des siècles et des siècles », glisse l’artiste. « J’ai vécu dans ces deux mondes, je sais que, quand on s’installe à la campagne, l’étranger est toujours observé avec méfiance, voire avec réticence. Et c’est également pour cette raison que j’ai voulu prendre le temps pour choisir mon lieu de vie. »
Bref, au bout d’un moment, il tombe sur le Jura. Et « il se passe quelque chose ». On lui demande pourquoi. Il ne réfléchit pas longtemps : « Un jour, en 2021, je pars visiter une grotte dans une forêt. J’ai attendu un peu qu’une famille termine son tour pour y être tranquille. Les personnes ont tardé à sortir, alors j’ai fini par entrer, se souvient-il. Elles étaient assez bruyantes, riaient beaucoup… enfin jusqu’à ce qu’elles remarquent ma présence. Et les personnes se sont excusées, et ont commencé à chuchoter. J’ai trouvé ça impressionnant. C’est plutôt rare de nos jours de prendre en considération son prochain et d’être capable de réduire sa présence pour lui faire de la place. »
Observer le réel
Son emménagement n’a pas changé sa façon de voir le dessin, et de créer, tout simplement. Depuis quelques années, il publie une série de « carnets de faits », une collection de reportages dessinés, disponibles en librairies. L’ex des Beaux-Arts de Montpellier et de Rennes explique n’avoir jamais désiré « mener une carrière d’artiste », mais s’est tout de même laissé porter par son besoin de « transformer le réel qui le dégoûte en y disposant des enjolivures personnelles qui fantastiquent le regard des passants ». Blick présente des scènes de vie qui l’inspirent, qui l’interpellent, croque des scènes « qui oscillent vers la fiction, mais qui sont pourtant bien réelles », lui qui réalise par ailleurs des films d’entreprise.
« Via le dessin, je souhaite aussi tendre un miroir sur notre manière d’habiter cette planète, m’interroger sur notre capacité à vivre ensemble. » Typiquement, il y a deux ans, il a passé trois semaines au Liban, à Beyrouth. « Je voulais voir comment une ville se confronte à l’effondrement. Dans une galerie marchande, j’ai remarqué une dame qui se faisait refaire les ongles dans un salon de pédicure. Soudain, une coupure d’électricité. Le black-out a duré dix minutes, se souvient l’auteur. En principe, quand on ne sait pas quand la lumière va revenir, on stresse, non ? Mais la cliente continuait de rire et de blaguer. Elle voulait briller. Face à l’effondrement, le paraître et le futile redoublent d’importance. Je l’ignorais, je l’ai appris là-bas. » En septembre prochain, il repart sur la route, stylo à la main. Direction : l’Arménie, pour de nouvelles aventures.
D’ailleurs, on se questionne : pourquoi tout le monde l’appelle Blick, qui signifie « regard », en allemand ? « Au lycée, rétorque-t-il, on avait créé un journal scolaire alternatif, Les Récidivistes séditieux, qu’on vendait sous le manteau. À l’intérieur, il y avait notamment des petites bandes dessinées. Un copain avait imaginé ce personnage, Blick, avec de grands yeux, comme moi. Il disait que j’étais comme lui, un peu bizarre, à la marge, rit-il. Alors je l’ai gardé en nom d’artiste et c’est devenu mon surnom. Du coup, j’ai transformé un sobriquet en un étendard. »
Espace de résidence pour créateurs
Blick, il a un « regard », et puis une volonté de rassembler. Depuis son arrivée dans le Jura, ses dessins n’ont pas évolué, mais tout de même, quelque chose s’est métamorphosé… Ici, Blick montre des projets à plusieurs, avec des artistes, des artisans aux mille et une compétences. Par exemple, Bruno Thomas, qui fait jouer ses mains sur des morceaux de bois pour créer des jeux (lisez son portrait sur Deklic). « Il m’a demandé de créer des personnages et une histoire pour un nouveau jeu. » Blick crée des objets (comme des « lampes de fascination » ou des « enlumineuses » colorées), écrit des poèmes pour une cantatrice, des spectacles, crée des collages, conçoit un jardin ornemental… Bref, il ne cesse d’inventer et de coconstruire avec ses voisins. « Ici, j’ai réussi à amplifier mon geste artistique grâce au soutien de ma nouvelle communauté d’humains… »
Son objectif : rassembler tout un tas de créateurs, et créer pour eux un espace de résidence et d’exposition, en milieu rural au sein de son domicile, au cœur d’un « désert artistique », comme il dit. Sur quel thème ? Il y a quelques mois, dans son antre, il a accueilli par exemple Laurent Ribis, peintre ayant conçu des portraits de migrants ou Anna Serra, « poète qui pulse les mots ».
Plus précisément, en vue d’ouvrir sa porte à d’autres artistes, c’est l’annexe de sa maison, une ancienne ferme, qu’il vise à rénover petit à petit, via des chantiers participatifs. « C’était une étable, il y avait quatre vaches autrefois. On disait que c’était une écurie, alors je parle… d’écurie d’art dédiée à tous les arts curieux. Terme brouillard et indéfini visant à égayer les uns et les autres, à susciter la surprise… En somme, c’est un lieu de liberté ! » Et c’est aussi pour ça, qu’il a abandonné la ville.
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