Volte-face : Bruno Thomas fait jouer ses mains sur des morceaux de bois

Par Philippe Lesaffre , le 19 janvier 2024 - 8 minutes de lecture
Portrait de Bruno Thomas

Portrait de Bruno Thomas

Installé dans le Jura loin du chahut des villes, Bruno Thomas crée depuis presque dix ans des jeux en bois pour les enfants et les moins jeunes en situation de handicap et de dépendance. Le menuisier écolo, armé de patience, a longtemps cherché une activité qui faisait sens.

« Si à la fin de ma vie j’aurai réussi à faire jouer un million de personnes, je serai satisfait. » Bruno Thomas lâche cette confidence avec le sourire, tout près de ses machines. Depuis quelques années, il invente et crée des jeux en bois pour les plus petits comme les moins jeunes, en situation de handicap ou de dépendance. Il se rend dans des écoles, des centres de loisirs, des ehpad ou des instituts médico-éducatifs.

Et puis il invite les élèves ou les pensionnaires au partage et à la coopération. Les jeux proposés ne possèdent pas toujours de règles, Bruno laisse les uns et les autres improviser, s’amuser ensemble. « J’invente des outils enrichissants pour les enfants et qui peuvent aussi permettre de ralentir la progression de la maladie de Parkinson, par exemple… » Il veut « accompagner », se rendre « utile », proposer aux gens lors de multiples animations, « des moments agréables », parfois entre représentants de générations différentes. Il en a imaginé en tout « 180 », précise-t-il, non sans fierté. Certains ont été conçus spécialement pour des châteaux ou des musées, comme la maison de la Vache qui rit, à Lons-le-Saunier, dans le Jura.

Un menuisier « spécialisé »

Au départ, il fabriquait tout type de biens en bois, notamment du mobilier pour les particuliers. Bruno concevait, en fonction des demandes, des escaliers, des meubles, des cuisines. Mais après la mort de son père, en 2015, il choisit de mettre son art au service d’une noble cause, en somme d’aider via ses constructions en bois les hommes et les femmes dans le besoin ou en souffrance. Pour lui, l’événement difficile a servi de « déclic » et de « prise de conscience ». Il s’est rendu compte qu’il désirait « avoir plus d’impact qu’auparavant » sur la société qui l’entoure et que, pour y parvenir, il pouvait se « spécialiser » dans l’univers des jouets et du médical.

Il assure s’être formé sur le tas, tout simplement en essayant des dégauchisseuses-raboteuses ou des toupies dans son atelier. Or menuisier n’a pas toujours été son quotidien. Bruno, 46 ans, a longtemps vadrouillé, cherché le métier de ses rêves, au final un sens à son existence. Durant la vingtaine et la trentaine, il a testé, démissionné, changé de cap, au gré des envies, des saisons, des rencontres.

Expériences éphémères

Après ses études en gestion de production et qualité, le natif d’Argenteuil, dans le Val-d’Oise, rejoint une entreprise de formation située dans une tour de La Défense en tant que responsable qualité environnement. Toutefois, rester enfermé dans un bureau l’ennuie. Et l’organisation, trop peu tournée sur l’humain à son goût, finit par le lasser. « Par exemple, je ne comprends pas pourquoi elle dépensait des fortunes pour organiser des séminaires, cela n’avait pas de sens. » Bruno sent qu’il a besoin de fuir la région parisienne afin de trouver sa voie. « J’ai compris que je devais m’éloigner du chahut des villes, en particulier pour fonder une famille, glisse le futur père de deux filles, aujourd’hui âgée de 14 et 12 ans. J’avais en tête d’évoluer dans un environnement plus proche de la nature et plus serein au quotidien. »

Sans le savoir, Bruno débute alors une longue route. Il ne se pose pas, multiplie les expériences éphémères, à droite, à gauche. Auxiliaire de puériculture, agent de sécurité dans les Hautes-Alpes, saisonnier au sein de la station de ski de Serre Chevalier et de Céüze (qui a en 2020 fermé ses portes pour cause de manque de neige), non loin de Briançon… Il cherche beaucoup, en France comme ailleurs. Car on le retrouve également au Brésil, le temps d’effectuer une mission de recensement des espèces d’orchidées pour un institut sud-américain.

La découverte du bois

De retour dans l’Hexagone, il poursuit sa quête du Graal professionnel. Avec sa compagne, la mère de ses enfants, il reprend une ferme-auberge dans le Jura. « C’était intéressant, mais chronophage… » Le couple décide de lâcher l’affaire, achète une maison à Montrevel, dans le Jura, et la personne de l’agence immobilière propose à Bruno… de devenir son collègue. Le hasard fait bien les choses. Non sans curiosité, celui-ci enfile le costume d’agent immobilier et va arpenter le territoire afin de dénicher les logements à mettre sur le marché.

Enchaîner les boulots n’est pas inutile, Bruno y gagne, quelque part. Ce nouveau travail lui offre par exemple la possibilité, analyse-t-il, de « découvrir le territoire » jurassien, boisé, vallonné, et d’accumuler les connaissances sur les bâtiments, des fondations au toit. Pour autant, au bout de deux ans, Bruno se rend compte qu’il a fait le tour. Comme il en a l’habitude, il change donc de casquette. Cette fois, presque pour de bon. Car voilà qu’il se forme au métier de charpentier, et qu’il commence à toucher au bois. Le début d’une passion, qui ne cessera plus jamais.

« Une vie proche de la nature »

Créer, c’est son truc, mais celui qui a lancé Bête à Bois en 2011 ne veut pas le faire avec n’importe quelle matière. La provenance du bois demeure capitale. « Il n’est pas question de contribuer à abattre des forêts, alors je gaspille le moins possible, j’évite au maximum d’avoir des chutes, je me sers de presque tout sans jeter, je donne une seconde vie aux choses. Les copeaux que j’ai à foison terminent dans nos toilettes sèches.» Bruno, pour ses jeux, récupère du bois aux forestiers, aux particuliers. « Dans le département, on trouve au fond des granges du bois de bonne qualité, qui a 40 ans de séchage… » Et régulièrement, on lui en propose, désormais. Bruno a réussi à se faire un nom dans le voisinage.

Sa bifurcation, sa volonté de réduire son empreinte écologique, de façon globale au-delà de son activité professionnelle, il la doit à sa compagne, explique le quadragénaire : « Elle a toujours eu une vie proche de la nature. » Ensemble, ils vont adopter un mode de consommation plus sobre, plus durable. En tout cas, par rapport à son ancienne vie, en Ile-de-France, ça n’a plus rien à voir. Ils récupèrent l’eau de pluie, envisagent prochainement d’installer une éolienne domestique dans le but de viser « une plus grande autonomie »

« Jardin thérapeutique »

Le couple a acheté un terrain d’un hectare et, aujourd’hui, les arbres fruitiers et les plantes mellifères entourent le potager familial, ainsi que les herbes aromatiques et médicinales. Les deux ont adopté des canards et des poules. « On essaie de consommer moins mais mieux, on dépense moins d’argent, par exemple en optant pour des achats groupés de nourritures avec les copains. » Après, il l’admet volontiers : « Vu les prix du foncier dans le Jura, c’est plus facile ici qu’ailleurs… »

Bruno, l’ancien animateur nature auprès de collectivités franciliennes, veut aller plus loin, lui et sa compagne entendent se servir de leur terrain pour continuer à… « aider » les gens comme il le fait avec les jeux. Typiquement, les deux réfléchissent à mettre en place des ateliers thérapeutiques au milieu des feuillus et des conifères. En particulier avec cet objectif de sensibiliser au vivant et à la coopération. « Il faut qu’on essaie de sensibiliser, de changer les choses à notre échelle, au niveau local… »

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Philippe Lesaffre

Journaliste depuis une dizaine d'années, Philippe couvre l'actualité de l'écologie pour plusieurs médias comme Deklic, mais aussi Marcelle, Ekopo... Il est aussi le cofondateur du média indépendant Le Zéphyr, dédié à la protection de la nature et du vivant. Des sujets qui le passionnent.

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