Volte-face : Florence Karras, le pouvoir des arbres : « Je suis passée du digital au végétal »

Par Philippe Lesaffre , le 1 décembre 2023 - 8 minutes de lecture
Portrait de Florence Karras. Crédit Emmanuel Boitier / Terre sauvage

Portrait de Florence Karras. Crédit Emmanuel Boitier / Terre sauvage

Longtemps à la BNP Paribas, Florence Karras a tout quitté pour s’installer en milieu rural, dans le Pas-de-Calais. Elle a ouvert une maison d’hôtes entourée d’un bois de quatre hectares, dominé par un noyer du Caucase étiqueté « arbre remarquable ». Dans cet écrin de verdure, la fondatrice de Canopsia aide les citoyens et les organisations à se reconnecter au vivant.

Dans sa maison d’hôtes, les gens se dévoilent. Depuis que Florence Karras a racheté le Domaine de Fresnoy, dans le Pas-de-Calais, c’est ce qu’elle observe parfois. Située à Loison-sur-Créquoise, elle accueille autant des particuliers que des organisations pour leur proposer « un pas de côté », comme elle dit. Un moment à part au cours duquel certaines personnes se livrent à une introspection.

« De nombreuses personnes, dit-elle, aspirent à changer de vie, à trouver des activités ayant plus de sens pour elles. Mais elles ne savent pas forcément comment s’y prendre. » Surtout, poursuit Florence, « elles n’osent pas passer le cap, car ellesse sentent peut-être enfermées dans des contraintes qui leur semblent insurmontables ».

La propriétaire du domaine comprend les doutes qui les traversent, parce qu’elle a vécu la même histoire, elle qui a su bifurquer il y a plusieurs années. Alors, elle prend le temps de se confier et de raconter le chemin qu’elle a tracé… avec succès. Florence nous explique avec sourire qu’elle est « passée du digital au végétal », expression utilisée dans un billet de blog en 2019 (et aussi appréciée et employée par Christophe Léon, qu’elle connaît, d’ailleurs).

« Saut dans l’inconnu »

Retour à l’origine. Florence a « passé 25 ans au sein de BNP Paribas », une expérience à mille lieues de son activité actuelle en milieu rural, mais qu’elle ne regrette pas dans la mesure où elle a « adoré » son parcours. « J’ai eu la chance, précise-t-elle, d’exercer plusieurs métiers variés, tant dans le secteur de l’analyse de risques de marché que celui de l’assurance, de l’aide à la personne et du digital… »

Peut-être à un moment s’est-elle rendu compte qu’elle avait fait le tour. Toujours est-il qu’elle a commencé, au bout d’un certain temps dans les années 2010, à se questionner. « J’ai pris conscience qu’il était difficile de transformer les grands groupes de l’intérieur. Les freins au changement et le poids des organisations rendent l’exercice quasiment impossible. » Un point de bascule pour celle qui a toujours cherché à « se sentir utile » au travail. « J’ai senti que j’avais plus de chance d’avoir de l’impact sur les enjeux du moment à l’extérieur d’une organisation. »

Florence quitte donc son employeur et « renonce à un salaire très confortable ». Un « saut dans l’inconnu », Florence n’a aucun plan B précis en tête, si ce n’est le désir d’une aventure entrepreneuriale. Alors elle cherche, puis finit par trouver.

Reconnexion au vivant

« J’ai toujours été en contact avec la nature, depuis mon enfance dans le Calvados à ma vie d’adulte en région parisienne, à deux pas de la forêt. » Et elle n’a cessé d’y revenir et de s’y promener pour se ressourcer. De nombreuses études l’ont prouvé, « l’exposition à la nature est essentielle afin de diminuer le stress, pour la qualité du sommeil, sur le plan médical » en particulier. Or, nombre de citoyens se sont déconnectés des écosystèmes, ce qui peut avoir « des conséquences sur leur santé mentale ». Florence esquisse un début de projet. « Assez vite, j’ai eu envie de travailler à retisser ce lien entre l’humain et la nature. »

Elle découvre la sylvothérapie, suit une formation d’Engage, visant à mobiliser les citoyens au vu des défis environnementaux à surmonter, et crée le cabinet Canopsia afin de guider des groupes sur la voie de la transformation. Nous sommes en 2018. De plus en plus de sociétés, sous la pression citoyenne, vont vouloir changer leur business model et réduire leur impact écologique. « Aux entreprises et aux citoyens, précise-t-elle, je leur propose de se décentrer, de s’extraire de leur quotidien pour mieux se… recentrer sur l’essentiel. »

Le lieu du « pas de côté »

Florence emmène ses premiers clients en forêt en vue d’un déclic. Elle en est convaincue, « les personnes immergées dans un espace boisé, quel qu’il soit, quittent assez rapidement le costume qu’elles ont endossé dans le cadre professionnel ». En somme, « le milieu forestier favorise les interactions, on se sent à l’aise pour s’exprimer ».

Au lendemain des confinements, elle sait qu’il lui faut « un lieu tant singulier qu’accessible afin d’incarner son concept du pas de côté ». Après une phase de recherche, elle tombe sur le Domaine de Fresnoy, à mi-chemin entre Paris et Lille, non loin du bord de mer. Et, en même temps, une bâtisse au milieu de quatre hectares de bois, située à l’écart du village du nord de la France. Coup de cœur immédiat. « Il y a un effet waouh, la magie opère dans cette bulle verte… » Florence, depuis son emménagement, remarque comment ses invités – pour les groupes, jusqu’à 15 personnes – lâchent prise dans son antre…

Arbre remarquable

Pour elle aussi, tout a évolué à la suite de ce changement de vie. « Je consomme différemment et beaucoup moins. Cela fait un certain temps que je ne suis pas rentrée dans une boutique de fringues, rit-elle. Mais cela ne me manque pas. »Lors de ses brefs séjours parisiens, elle constate à quel point « en milieu urbain, on est sans arrêt sollicités, c’est difficile d’y résister ».  Pour certains, « cette surconsommation comble un vide de sens, conscient ou pas… »  Pas évident de « renoncer » à certaines choses : « Le chemin vers la sobriété est un tiraillement entre frustration et satisfaction, c’est vrai. » En tout cas, aujourd’hui, elle considère l’environnement exceptionnel dans lequel elle évolue comme un privilège. « C’est un produit de luxe mais accessible. »

Le silence lui plaît, autant que la proximité avec les arbres exceptionnels. Dans sa propriété, elle a compté une trentaine d’essences, et notamment un certain noyer du Caucase, rare et singulier à la fois. Cette année, l’association ARBRES lui a reconnu son caractère « remarquable ». Nombreux sur le territoire ont obtenu le label. Une démarche visant à les protéger, en somme. « Il y a encore trop de coupes d’arbres », précise l’amoureuse du vivant. « Nous sommes juste de passage, il faut les préserver au mieux. » Alors, elle ne cesse de sensibiliser le plus grand nombre afin qu’on arrive collectivement à « changer de regard » sur les charmes et les chênes.

Suite logique. Florence a décidé de participer cette année au concours de l’Arbre de l’année, porté par l’ONF et Terre sauvage. Son noyer du Caucase fait partie des nominés pour le Prix du public et représente la région des Hauts-de-France. Les votes sont ouverts jusqu’au 18 décembre. D’ici là, Florence touche du bois.

A lire aussi :

📸  Volte-face : Christophe Léon, ancien entrepreneur : « Le vrai luxe, c’est la nature »

📸 Volte-face : du monde de la finance à la boulangerie artisanale , la métamorphose inspirante de Stéphanie Browaeys

📸 Volte Face : Pablo Lerey, aujourd’hui distillateur nature

📸 Volte-face : Hugo, de Porsche aux coopératives : « Faire ce qu’on a envie, sans que l’élastique ne casse »

📸 Volte-face : Antoine, ex-ingénieur devenu référent carbone : « J’espère que mes choix iront toujours dans le sens de l’action »

📸 Volte-face : Constance Laroche, ex marketeuse reconnectée à la nature : « Bifurquer m’a permis de porter un autre regard sur moi-même. »

📸 Volte-face : Antoine, ex-ingénieur devenu référent carbone : « J’espère que mes choix iront toujours dans le sens de l’action. »

📸 Volte-face : Lisa, de l’audit à la rénovation énergétique : « Je n’étais plus en phase avec ce que je faisais »

📸 Volte-face : Céline ex-directrice marketing de Coca-Cola : « Il ne faut pas choisir entre le travail et ses passions »

Philippe Lesaffre

Journaliste depuis une dizaine d'années, Philippe couvre l'actualité de l'écologie pour plusieurs médias comme Deklic, mais aussi Marcelle, Ekopo... Il est aussi le cofondateur du média indépendant Le Zéphyr, dédié à la protection de la nature et du vivant. Des sujets qui le passionnent.

Voir les publications de l'auteur