Volte-face : Hugo, de Porsche aux coopératives : « Faire ce qu’on a envie, sans que l’élastique ne casse »
Hugo Simon accumule les expériences avec une vision construite peu à peu : donner un réel impact à des projets écologiques et sociaux, tout en appliquant les méthodes de développement acquises lors de sa formation en école de commerce. Pour ce Caennais de 34 ans, qui s’épanouit loin de la carrière qui lui était promise, diverger ne veut pas dire rompre.
La balance est un art, pour peu que l’on cherche la stabilité. Il faut jouer avec les poids, compenser d’un côté ce que l’on ajoute ou retire de l’autre, conserver à tout prix la maîtrise. Pour qui y parvient, le bonheur de l’équilibre n’est pas loin. Cette pleine satisfaction, celle d’avoir allié « le meilleur des deux mondes » selon ses mots, Hugo Simon la touche du bout des doigts depuis quelques années. Comme tous ceux qui s’en sont approchés, il sait qu’elle est fragile, et qu’il serait prétentieux de prétendre l’attraper à pleines mains. Surtout quand nos convictions sociales et écologiques nous éloignent des sentiers battus.
« Je trouve que le sujet le plus important aujourd’hui en termes de prise de conscience écologique, c’est le rapport à la norme. Comment on fait pour diverger, pour faire ce qu’on a envie, sans que l’élastique ne casse ? » Une question centrale pour le jeune homme, qui entend bien mener une vie accordée à ses croyances, sans rompre avec « les amis, la famille, la vie quotidienne ».
Dans sa vie personnelle comme professionnelle, Hugo ne connaît que trop bien les freins aux changements majeurs. »“Si on est entouré de gens hyper conventionnels, c’est dur. Il y a aussi des choses qui reposent sur l’action publique. Vouloir faire du 100 % vélo c’est bien, mais si on vit dans une ville où il n’y a pas d’infrastructures pour les cyclistes, ce n’est pas possible. Dans une boite que j’ai créée autour de l’alimentation végétalienne, on a voulu être puristes jusqu’au bout : sans banque, tout à vélo, zéro déchet, local, de saison… C’était beau sur le papier mais, dans le monde actuel, c’est impossible, on s’est heurté à un mur. »
À 34 ans, il semble désormais avoir trouvé la bonne recette. « Je comprends mieux jusqu’où on peut aller, quels sont les efforts à faire pour réussir à avoir un vrai impact. » Sans rompre le fil de ses relations. « J’ai fini par trouver le bon curseur. À 20 ans tu es radical, mais petit à petit, la vie te dit : ou tu vas vivre tout seul dans la forêt, ou il va falloir apprendre à composer. »
Si son cursus en école de commerce et ses premières expériences chez Colgate et Porsche, ne laissent rien présager d’un parcours radicalement en marge, force est de constater que Hugo a toujours aligné ses choix avec les différentes étapes de sa prise de conscience sociale et écologique. Même quand il a fallu quitter le job de ses rêves. « J’étais passionné par les voitures, et j’ai obtenu un stage d’un an au siège de Porsche, à Paris. Au bout de six mois, je m’ennuyais. J’ai compris qu’une belle carrière dans une grande boite, ce ne serait pas pour moi. » S’il ne sait pas dater exactement le début de sa prise de conscience écologique, il est certain que « l’expérience chez Porsche a été déterminante ». Ces débuts professionnels décevants sont en réalité « une grande chance ». « Dès ma première expérience, je suis fixé : si même en travaillant avec le produit que j’aime le plus, je m’ennuie, alors aucune boite de ce type ne pourra combler les manques que je ressens. »
C’est ailleurs que Hugo va chercher sa place. « J’ai découvert le bouillonnement autour de l’entrepreneuriat et de la culture start-up. J’y ai trouvé des choses qui me convenaient davantage, comme la possibilité de toucher à tout. On fait fi de l’âge et de l’expérience, on y va et on apprend par soi-même. » . Il crée d’abord un média pour interviewer des entrepreneurs, puis se lance dans l’écosystème, en rejoignant We Drive, qui travaille sur le covoiturage domicile-travail. « C’était hyper enrichissant, avec des mecs qui avaient déjà pas mal entrepris, sur un sujet que je trouvais vertueux et qui ne fonctionnait pas du tout à l’époque. On a levé des fonds auprès de PSA, puis ils ne nous ont pas suivis sur la deuxième levée, et on a dû arrêter l’aventure. » Du jour au lendemain, Hugo passe du statut d’associé minoritaire à celui de licencié économique. De nouveau, la réflexion le gagne. « J’avais été saoulé par l’interventionnisme du groupe Peugeot, qui s’était arrogé beaucoup de pouvoir en échange de son investissement, alors qu’il ne connaissait pas grand-chose au covoiturage domicile-travail. J’ai commencé à me poser des questions sur le mode de gouvernance dans les entreprises. »
S’il est séduit par « l’aspect autonomie et développement de projet » Hugo cherche désormais « l’aspect vertueux et respect de l’ensemble des parties prenantes ». Encore une question d’équilibre, qui va le mener à l’étape suivante : la formation « Devenir entrepreneur du changement » de Ticket for Change. « J’ai adoré découvrir cette nouvelle manière d’entreprendre et de développer des projets en partant d’un problème social ou écologique qui nous est propre, pour ensuite essayer de construire une solution autour avec un modèle économique. D’ailleurs, c’est toujours ce que j’aime aujourd’hui. Pour moi, entreprendre en coopérative ou en association, c’est un peu le meilleur des deux mondes : d’un côté un objectif environnemental ou social, de l’autre une gouvernance qui respecte toutes les parties prenantes, et au milieu du vrai développement de projet comme dans n’importe quelle entreprise. »
C’est au cours de cette période que le jeune homme creuse la question écologique. « J’ai eu quelques mois pour me former, réfléchir, lire, aller à beaucoup d’événements. Finalement, à cet âge-là, on est à peine adulte et on continue de se former. Peut-être que ma conscientisation avait déjà débuté, mais c’est ce moment de recul qui m’a permis de relier plein de petits constats mélangés en une pensée globale. » Et de passer à l’acte. « C’est à cette période qu’est arrivé le vélo comme mode de déplacement dans mon quotidien, ou encore que je suis devenu végétarien. »
Il monte d’ailleurs avec des amis uneScop dont l’ambition est de démocratiser l’alimentation végétale. « Le chiffre d’affaires se développe pas mal, les clients aussi, mais on se rend assez vite compte que pour atteindre notre point mort, il faut sortir de Paris et s’étendre au moins l’Île-de-France. Or, ça implique du suremballage, des pains de glace, des livraisons en camion… et donc ça perd tous en sens. Alors, on a décidé d’arrêter. »
Poussé par le besoin, il passe par un cabinet de recrutement pour retrouver rapidement du travail, et devient directeur marketing de Mon-Avocat.fr. Mais l’aventure va rapidement s’interrompre. « On peut se mentir à soi-même un temps, et trouver des utilités à des projets qui n’en ont pas pour justifier de travailler là où c’est confortable, mais on est très vite rattrapé par la réalité. » En l’occurrence, celle du monde des start-ups. « J’avais un problème avec la façon dont les investisseurs agissaient. Ça me gênait, je ne trouvais pas ça juste. »
Il retrouve le modèle de la coopérative dans un projet de livraison à vélo cargo, et s’applique à « remplacer un maximum de camionnettes de livraison tout en protégeant le métier de coursier à vélo qui était particulièrement menacé à ce moment-là avec l’arrivée des plateformes ». Si le succès est au rendez-vous (Cargonautes existe encore aujourd’hui et compte 40 salariés), Hugo va de nouveau tourner la page pour franchir une étape supplémentaire. Cette fois-ci, c’est la dimension personnelle qui vient déclencher ce choix. « Avec ma compagne, on ne supportait plus de vivre à Paris et on a décidé de partir. » Un concours de circonstances le ramène dans sa région natale, au cœur d’un nouveau projet coopératif. « Un tiers-lieu se construisait depuis quelque temps à Caen. Un membre de ma famille était impliqué dans l’émergence du projet, et m’avait proposé de devenir sociétaire avec une cinquantaine d’autres personnes. Au moment où on décide de quitter Paris, on est à un mois de l’inauguration et une des deux cofondatrices s’en va. » C’est comme ça qu’il devient directeur adjoint puis directeur général du Wip. Une aventure qui durera quatre ans, jusqu’à la fermeture du lieu il y a quelques semaines, en 2023.
Un dernier rebondissement qui vient conclure une série d’aventures que Hugo a vécues depuis un stage chez Porsche qui parait bien lointain. « Quand je faisais des interviews d’entrepreneurs pour mon média, l’un d’entre eux m’avait dit : « il faut faire des choix qui donnent des histoires à raconter ». C’est très « start-up » comme citation, mais c’est quand même vrai. Ça dit quelque chose de mes choix de vie. Bon, je ne suis pas allé sauver des baleines à l’autre bout du monde, mais je suis content d’avoir eu plein de petites aventures à mon niveau et d’imaginer ce que va être la suite. »
Une suite que Hugo ne veut pas précipiter. « J’ai beaucoup enchaîné, donc je pense que je vais me permettre un moment de réflexion. Je sais que j’ai besoin d’un projet dont la finalité est incontestablement vertueuse, mais à part ça je ne sais pas trop. Quoi qu’il en soit, je suis plutôt serein, je suis content d’avoir du temps. » Du temps pour prendre du recul, encore. « Je pense qu’il y a chez moi une forme d’insatisfaction permanente qui me pousse à chercher à chaque fois quelque chose de plus. À chaque étape, à chaque expérience, je me dis que c’est bien, mais qu’il manque quelque chose. » De là à le faire douter de ses choix ? « J’ai eu une période difficile, où je me suis pas mal chauffé sur l’effondrement, mais je me suis toujours très vite dit que la meilleure réponse était de développer la coopération. »
Hugo sait donc qu’il est à la bonne place, même s’il faut, encore et toujours, trouver les bons ajustements. « Rétrospectivement, je regarde mon parcours et je me rends compte que j’ai besoin d’un projet avec une finalité écologique et sociale, mais j’aime l’esprit start-up, le fait de penser et de développer des produits qui résolvent des problèmes et de trouver le bon modèle économique qui va avec. Je trouve que dans l’ESS, on tombe parfois un peu trop dans le béni-oui-oui, en oubliant que, pour l’instant, on est encore dans une économie de marché. Il faut que ça tourne, on a besoin de business plan, de marketing… Je suis un peu entre tout ça et je ne sais pas trop comment me positionner. » Encore une fois, il faudra trouver l’équilibre. Mais avec le temps, Hugo est en passe de devenir maître dans l’art de la balance.
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