Volte-face : Juliette Caulier, la fast-fashion en ligne de mire

Par Philippe Lesaffre , le 12 janvier 2024 - 7 minutes de lecture
Juliette pose devant sa boutique de seconde main.

Juliette pose devant sa boutique de seconde main.

Après dix ans passés à Coca-Cola, Juliette Caulier a ouvert une boutique de dépôt-vente de vêtement d’occasion à Paris. Son intention est de « démocratiser l’usage de la seconde main ».

 « J’avais du coca dans les veines, j’étais dévouée à l’entreprise. » Juliette Caulier, 35 ans, remonte les souvenirs. L’ex-directrice des partenariats a évolué pendant une décennie au sein de la compagnie américaine au service marketing. Une expérience qu’elle dit enrichissante, qui l’a menée autant à Paris qu’à Londres. « Coca-Cola est une belle boîte, j’ai eu la chance de croiser des personnes brillantes… » Pas de doute, « quand on a fait une école de commerce, c’est un job de rêve ».

« On a envoyé un signal, il faut l’écouter »

C’est en tout cas comme ceci qu’elle l’a longtemps perçu. Le plan de carrière semblait tout tracé… jusqu’à ce qu’un mystérieux virus venu de Chine chamboule tout. Le premier confinement qu’elle passe dans son appartement parisien vient briser quelques certitudes. « Je me suis rendue compte que l’humain se porte mieux une fois que l’activité s’arrête. On nous a envoyé un signal, il faut l’écouter. » Et sans doute « faire évoluer nos habitudes du quotidien »

Toutefois, cela ne semble pas être le chemin emprunté par son employeur. « Les consignes qui tombaient avaient moins de sens pour moi », se souvient Juliette. « Coca-cola mène des actions pour minimiser son impact sur l’environnement, mais ce n’est plus suffisant pour moi. » Comme beaucoup durant cette séquence, Juliette évolue, s’interroge sur ce qui est essentiel. « Tout ce plastique qu’on met sur le marché, je n’arrive plus à l’assumer, dit-elle. Pendant longtemps, j’étais persuadée que nous pouvions faire bouger les lignes de l’intérieur, que nos actions en matière de responsabilité sociale et environnementale seraient suffisantes. Que nous avions les solutions pour répondre aux défis écologiques… »

« Fatiguée des grands groupes »

Mais ça, c’était avant. « Clairement, j’avais des œillères, cela m’a sauté aux yeux pendant le Covid-19 : je n’ai pas trop de poids au cœur du ‘système’. » Et puis elle repense à ce que certains proches lui glissaient de temps en temps : « Imagine que tu mettes dans une cause plus noble l’énergie que tu dédies à cette boîte ! » À l’époque, elle souriait, puis zappait. Elle y croyait encore. L’heure de départ n’avait pas sonné. Or, ça y est, en cette fin 2020, elle profite d’un plan de départ volontaire, comme il y en a souvent à Coca-Cola, et quitte le navire. Juliette préfère changer de direction tant qu’elle « ne déteste pas l’entreprise ». Mais pour aller où ? 

Sans idée fixe, elle signe un CDD à Méta. On lui demande de s’occuper du sponsoring et des partenariats de Facebook et d’Instagram en vue de la coupe du monde de rugby en France. « L’expérience s’avère plus difficile, car j’étais en réalité fatiguée des grands groupes… » C’est aussi qu’elle pense à sa vie d’après, car tout s’éclaircit.

Ouverture d’une boutique parisienne

Quelques mois auparavant, celle qui a toujours été « addicte » aux plateformes de vente en ligne de vêtements d’occasion tels que Vinted était tombée sur une boutique de dépôt-vente à Boulogne-Billancourt, près de Paris. « J’ai adoré, j’y ai trouvé des belles pièces de marque accessibles… » Cette découverte l’a inspirée. Et si elle ouvrait son propre petit magasin de dépôt-vente de quartier ? Simple idée au départ, cela devient une obsession. Elle finit par y penser en permanence.

En janvier 2022, elle quitte Méta, se lance à toute allure dans le projet et, cinq mois plus tard, parvient à ouvrir sa boutique dans le 11e arrondissement parisien, le Shift Store. « Je me suis dépêchée, car je voulais pouvoir bénéficier d’un an de versements de Pôle Emploi et ne pas pénaliser la jeune société. » C’est qu’elle a l’intention de s’installer dans la durée. Il n’est plus question de revenir en arrière, assure celle qui prend également quelques missions de sponsoring sportif en freelance. « Le salariat, c’est fini ! »

Un dépôt-vente utile

Surtout que son boulot, maintenant, a « du sens » pour elle. Juliette désire démocratiser l’usage de la seconde main. Manière aussi de lutter contre le fléau de la fast-fashion. « Il y a beaucoup trop de nouvelles collections, c’est délirant », estime-t-elle.Elle raconte ne rien avoir inventé. « Des particuliers me déposent des vêtements de marque, à l’instar de Sezane ou de Ba&sh. Je trie et mets en vente de belles pièces, en prenant une petite commission à chaque transaction. » Initiative très intéressante pour les propriétaires aux fins de mois difficiles.

L’aspect solidaire ne s’arrête pas là : ce qui ne trouve pas preneur est donné à des associations comme la Croix-Rouge de Sceaux. « Je pourrais frapper à la porte d’autres structures. Mon objectif est que les vêtements ne se retrouvent pas dans des décharges sauvages, sur les côtes africaines. »

Plus d’achats compulsifs

Et ça marche pour l’heure. Dans sa boutique de 40 m² au loyer très important, elle doit refuser de multiples pièces. Pas la place de tout stocker. « Dans le quartier, beaucoup aiment l’idée de remettre en circulation des habits dont ils ne veulent plus. Avec la mode qui évolue régulièrement, les personnes achètent et se lassent beaucoup, elles veulent souvent vider leurs placards pour faire de la place… Cela ne s’arrête jamais. »

C’est indéniable, sa nouvelle vie lui convient plus que tout. Certes, il y a des jours de semaine au cours desquels elle ne voit guère plus de deux personnes dans sa boutique. Certes, elle ne peut se permettre d’embaucher quelqu’un, ce qui lui permettrait de ne pas travailler seule dans son coin. Certes, son niveau de vie a largement baissé par rapport à sa vie d’avant. Mais il n’empêche que tout roule. 

Il y a des signes qui ne trompent plus : « Parfois, après une réunion qui se passait mal, toute frustrée, j’allais me calmer entre midi et deux dans un magasin de vêtements… Cela ne m’arrive plus de claquer ma thune ainsi. » Elle se sent plus alignée avec ses valeurs, « craque » peu.

Mener une vie plus sobre coûte moins cher. Juliette consomme différemment, ne met plus de viande dans son assiette depuis trois ans. Affirme de plus avoir envie de partir au bout du monde en avion, n’achète quasiment plus d’habits neufs. « Je suis ma première déposante et bénéficiaire », sourit-elle. Oui, tout roule pour Juliette !

Où :

Shift dépôt-vente
24bis Rue Popincourt
75011 Paris

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Philippe Lesaffre

Journaliste depuis une dizaine d'années, Philippe couvre l'actualité de l'écologie pour plusieurs médias comme Deklic, mais aussi Marcelle, Ekopo... Il est aussi le cofondateur du média indépendant Le Zéphyr, dédié à la protection de la nature et du vivant. Des sujets qui le passionnent.

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