Volte-face : du monde de la finance à la boulangerie artisanale , la métamorphose inspirante de Stéphanie Browaeys

Par William Buzy , le 3 novembre 2023 - 8 minutes de lecture
Boulangerie Brood, Crédit Instagram

Boulangerie Brood, Crédit Instagram

Alors qu’une carrière dans la finance londonienne l’a longtemps fait rêver, Stéphanie Browaeys a quitté le navire six mois après y avoir embarqué. Depuis, elle a lancé une boulangerie artisanale et travaille avec des ingrédients bios et locaux pour fabriquer « le pain le plus pur possible ».

« Je kiffais – et d’ailleurs je kiffe encore – la finance. Je suis quelqu’un de très organisée, j’adore faire mes analyses financières. » Ce goût pour la gestion est à peu près tout ce qui reste du passé de Stéphanie Browaeys en banque d’investissement. À croire que l’on ne fait pas si facilement table rase d’un objectif de vie qui nous a portés pendant des années. Car pour cette jeune Belge, le chemin de vie a longtemps été très clair. « J’ai toujours été très forte en maths. J’ai fait mes études là-dedans, et je savais très bien ce que je voulais faire : aller à Londres, trouver un stage, puis un job, monter l’échelle et faire carrière en banque d’investissement. J’avais mon parcours complètement tracé dans ma tête. »

Mais l’aventure aura à peine le temps de commencer qu’elle tournera court. Deux mois après le début d’un premier poste à Bruxelles, le Covid, comme partout, vient tout chambouler. « Je me suis retrouvée toute seule à la maison, à travailler pendant de très longues journées pour faire mes analyses financières. Je n’avais pas de contact client, pas de contact avec mes collègues, je travaillais sur plein de choses, mais sans jamais voir aucun projet de A à Z. Je n’avais aucun plaisir dans mon boulot. » Et la confortable certitude de l’avenir tout tracé vacille rapidement. « J’ai commencé à réfléchir et c’était clair pour moi que ce que j’étais en train de faire n’avait pas beaucoup de sens. C’était quand même assez dur, parce que je savais exactement ce que je voulais faire, et une fois que j’y suis arrivée, je me suis rendu compte que, finalement, ce n’était pas du tout la vie que je voulais mener. »

Un virage rapide

Il faut dire qu’un long voyage à la fin de ses études était venu apporter une première pierre à l’édifice du changement pour Stéphanie. « J’ai voyagé un an en Australie, avec une brosse à dent, quelques habits et un matelas à l’arrière d’un van. On réalise qu’on n’a pas besoin de mille choses. On peut être très bien avec le minimum. Je n’avais pas de frigo, pas d’eau potable… Ça m’a appris à manger différemment, parce que je ne pouvais pas acheter de viande, de lait, et du coup je suis devenue végane. J’ai toujours fait très attention à ce que je mangeais. J’ai grandi là-dedans : ma mère achetait bio, local, c’était important. » La pomme ne tombe jamais loin de l’arbre. Et alors que l’ennui s’installe dès les prémices de sa vie professionnelle perturbées par la pandémie, Stéphanie trouve un plaisir simple : faire du pain. « Pendant cette période, j’étais davantage fascinée par mon pain qui sortait du four, que par les analyses financières que je faisais toute la journée. J’ai adoré. »

Six mois après avoir commencé, elle démissionne, « sans vraiment avoir un plan B ». « Je savais que je voulais lancer quelque chose moi-même, retrouver le contact humain, travailler avec mes mains, avoir un produit que je peux toucher et dont je vois le résultat concret, fabriquer quelque chose de A à Z. » Stéphanie n’est pas femme à tergiverser, et très vite, elle trouve un local, y pose une planche sur des tréteaux, choisit un four d’une tonne et commence à faire du pain. La voilà boulangère. « Je pense que je suis un peu folle. J’ai signé un bail sans être sûr que je pouvais faire une boulangerie. Je n’avais jamais fait un croissant, j’avais fait dix pains dans ma vie, mais c’était ce que je voulais faire et je suis très autodidacte. Si je veux quelque chose dans la vie, j’y vais à fond et j’apprends ce que j’ai besoin d’apprendre. »

Un virage soudain qui a étonné. « Au début, mes parents étaient surpris. J’avais fait de longues études, je travaillais dans la finance, c’était quelque chose de très stable et sécurisé. »  Mais, face à la détermination de la jeune femme, tous ses proches ont vite compris qu’il ne s’agissait pas d’un coup de tête. « Ma famille, mon copain, mes amis : tout le monde a été derrière moi. Je me demande comment les gens m’ont supportée, quand j’étais seule dans mon local, à vendre cinq pains par jour. Mais ça rend l’évolution encore plus belle. C’est précieux de voir que les gens m’ont encouragé et ont toujours été là pour moi. »

Portrait de Stéphanie Browaeys

Des débuts éprouvants

Car le bonheur s’est construit sur le temps long, et les débuts ont été une épreuve. « Quand je regarde le chemin parcouru, je suis heureuse, mais si quelqu’un me demande maintenant : est-ce que tu recommences ? Je dis non. » Seule au moment du lancement, elle doit tout apprendre et assure la production, la cuisson, la vente, et l’administratif. Un parcours éprouvant. « Je travaillais 7 jours sur 7, je dormais quatre heures par nuit. Je ne voyais pas ma famille, ni mes amis, ni mon copain. C’était très dur. Mais je suis ravie de l’avoir fait. J’aime ce projet aujourd’hui. Je ne m’arrêterai jamais. J’adore, je kiffe ! »

Sa boulangerie, baptisée Brood (le pain, en flamand), elle l’a voulue végane, bio, ancrée localement. Pas juste des mots clé. « Je voulais faire le pain le plus pur possible : farine, eau, sel, c’est tout. On n’ajoute pas d’améliorant, pas d’additif, pas de colorant, pas de levure. » Le pain au levain, dans sa forme la plus naturelle, que l’on peine à se procurer.  « C’est incroyable de se dire qu’on ne peut pas trouver un aliment aussi simple partout ! Je voulais rendre ça le plus accessible possible. » Un concept « back to basics ». Sur le comptoir, « pas 36000 produits », et un espace ouvert « pour que les gens voient comment le pain est fait ».

Tour de seigle avant cuisson. Crédit instagram

Car, dans le futur, Stéphanie aimerait transmettre ce savoir-faire. Pour le moment, elle se contente de donner du levain aux clients qui veulent se lancer, mais espère pouvoir bientôt organiser des ateliers. « Il y a plein de choses que j’aimerais pouvoir faire, mais on manque de temps. Il y a de chouettes projets sur lesquels on travaille et qui arriveront petit à petit. » Car, cette fois-ci, elle veut prendre le temps. « Je trouve qu’on a déjà été très vite en deux ans. Je ne veux pas me développer pour me développer. Je veux faire du bon pain. La qualité du produit sera toujours la priorité. »

Faire du bon pain. Loin des rêves de finance londonienne avec lesquels elle a grandi. « S’il n’y avait pas eu ce voyage, puis le covid, si j’étais encore dans la banque, je pense que je serais moins heureuse aujourd’hui. Récemment, quelqu’un m’a envoyée une vidéo d’une personne qui bosse dans la finance, assise derrière son ordinateur toute la journée, en me disant : imagine que c’est toi. Je me suis dit : waouh je suis tellement plus heureuse maintenant… Je ne peux même plus croire que c’était mon rêve autrefois. »

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William Buzy

Écrivain et journaliste, William Buzy a fondé le média Impact(s), spécialisé dans la journalisme de solutions, et fait partie d’un collectif adepte du journalisme littéraire et du documentaire. Auteur de plusieurs romans, il a également publié des récits et des essais sur le journalisme.

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