Volte-face : François Singer, sauvé par sa prise de conscience écologique : « Parfois c’est très difficile de partir, mais c’est la meilleure chose à faire »

Par William Buzy , le 26 septembre 2023 — portrait - 10 minutes de lecture
Portrait de François Singer, Crédit Mary-Lou Mauricio

Portrait de François Singer, Crédit Mary-Lou Mauricio

Coincé dans une carrière sans sens, plongé dans une descente aux enfers destructrice, François Singer a refait surface grâce à sa prise de conscience écologique. Aujourd’hui, ses peurs et ses colères ont été complètement transformées, et c’est dans l’action que le jeune homme a trouvé son épanouissement.

Un parcours conformiste

Il est des parcours dont on connaît le tracé par cœur. Qui existent par dizaines de milliers, centaines de milliers, sans doute plus encore. Ils sont si classiques qu’on ne s’étonne plus de nous les entendre raconter.

Prenons celui-ci par exemple : un enfant naît dans « une famille assez aisée, pas regardante sur les voyages en avion, sur la consommation de viande, qui a plusieurs voitures ». Père médecin, mère enseignante, « sans aucune difficulté particulière dans la vie ». L’enfant ne sait pas ce qui le fera vibrer plus tard, obtient un bac S qui ouvre à tout, fait une classe préparatoire parce qu’il ne « sait pas quoi faire », et termine en école de commerce parce qu’il ne « sait toujours pas quoi faire ».

Là-bas, il apprend « plutôt la franche camaraderie que l’écoconscience ou l’éveil des sens sur le rapport à la nature ». Il ressort diplômé et devinez quoi ? Il ne « sait toujours pas quoi faire ». Un contact amical « qui bosse au sein du groupe Accor » fait remonter son CV « sur le haut de la pile » et voilà le stage, le CDD, le CDI. L’enfant devenu grand rallie « une grande tour remplie de milliers de personnes », travaille « sur des problématiques de développement de projets digitaux », gagne bien sa vie. Puis gagne très bien sa vie quand on vient le chercher pour rejoindre un groupe propriétaire de 63 centres commerciaux, qu’on lui donne une équipe et des responsabilités.

Il n’aime pas son métier, s’ennuie un peu, boit beaucoup dans les after-work. Il est triste mais met du temps avant de le comprendre. Quand il le comprend finalement il est pris dans un engrenage dont on connaît les ressorts puisque cette histoire, on l’a entendue souvent. Elle se termine « très mal », avec « une violente dépression », un psychiatre, beaucoup de cachets, un sommeil détruit, 15 kilos en moins et un amour envolé.

Et puis de temps en temps ces histoires prennent une voix, un visage, des intonations. Elles s’incarnent en quelqu’un et tout d’un coup prennent une autre résonance. En l’occurrence celle-ci est celle de François. Et si on la raconte aujourd’hui alors que vous croyez déjà la connaître, c’est parce que cette « rude descente aux enfers » a mené le garçon, quelques années plus tard, à une vie « épanouie et apaisée ». Et parce que l’élément décisif dans l’intervalle aura été une prise de conscience écologique.

L’éveil d’une conscience écologique

Revenons légèrement en arrière. François est pris dans « une dépression cyclique » dont il ne parvient pas « à identifier les causes ». Le « mal-être sous-jacent et pernicieux grandit », jusqu’au jour où « la corde lâche ». « Plus tu accumules ces années d’entreprise déshumanisante, plus tu te rends compte que ça devient impossible de poursuivre dans cette vie. » Brusquement, il se rend compte qu’il vient de laisser filer de nombreuses années « sans jamais réfléchir ». « Je n’ai jamais pris conscience que ce n’était pas du tout ça que je voulais faire. »  François est convoqué par les RH pour évoquer sa baisse de rendement. Il leur annonce sa démission.

Sans aucun plan pour l’avenir, il prend enfin le temps de se poser. « J’en suis arrivé à me dire que j’avais perdu 10 ans de ma vie. Or en réalité tu apprends aussi de tout ça, ça fait partie du cheminement. Mais quand la prise de conscience arrive d’un coup… c’est dur. » Déroulant la pelote de ses envies, de ce qui le meut, il redécouvre « des émotions et des sensations » liées à la nature, et refait émerger son amour pour le sport. Il reprend finalement des études, et se lance dans une thèse de recherche autour de l’impact des dérèglements climatiques sur la pratique sportive et sur l’organisation d’événements sportifs. Grâce à ce travail, il multiplie « les rencontres inspirantes » et se rend compte d’un vide à combler sur le sujet. « Mon épanouissement émerge : je me dis sport, écorespondabilité, impact social, impact environnemental… C’est peut-être là que j’ai une vocation. En tout cas c’est là que je me sens à ma place. Même si c’est encore un fil à tirer, je sens qu’il se passe quelque chose. »

Cette thèse sera le levier de sa prise de conscience écologique. Après une phase d’écoanxiété poussée, il remet « beaucoup de choses en question », franchissant également la frontière séparant sa vie professionnelle de sa vie personnelle. « Je me questionne sur la manière dont je veux vivre, l’endroit où je veux vivre et l’entreprise dans laquelle je veux travailler. » Il rejoint finalement 17Sport, qui mêle le sport avec l’impact social et environnemental, et redevient stagiaire, à 30 ans. « On est 4 dans la boite, je n’ai plus d’équipe, je gagne 600 balles par mois… Ça pousse à l’humilité. Tu as l’impression de faire un pas en arrière, mais en fait, tu en fais dix en avant. Quand tu te lèves le matin, c’est bateau, mais tu n’as plus l’impression d’aller travailler. Tout d’un coup, je suis en mission, je suis habité, je suis épanoui. »

Quatre ans plus tard, la boite a bien grandi et le stagiaire a de nouveau franchi les échelons. Et ce repositionnement professionnel se répercute dans les autres strates de sa vie.  « J’ai retrouvé une joie de vivre que j’avais perdue, et qui est liée à mon sentiment d’épanouissement et d’utilité dans le monde professionnel. Tout est interconnecté. Moi qui me faisais tout un plat de quitter mon travail et de changer de vie, aujourd’hui je me rends compte que c’était dérisoire. C’est le meilleur move que j’ai fait, et je me demande pourquoi je l’ai pas fait avant. D’ailleurs, c’est le conseil que je donne : quand tu as une intuition, que tu es malheureux, que tu as une sensation de dépression ou des difficultés, parfois c’est très difficile de partir, mais c’est la meilleure chose à faire. En tout cas, c’est ce que j’ai ressenti et appris de mon expérience. »

Son expérience, François entend justement la partager. Il refuse de limiter son action à son projet professionnel, et enseigne désormais en école de commerce. « Sur le plan académique il y a un travail de dingue à faire. Je suis passé de l’autre côté de la barrière, et je me rends compte qu’il y avait jusqu’à très récemment une vacuité et un vide énorme sur ces sujets d’impact social et environnemental. Ce n’est pas pour rien qu’il y a des révoltes dans beaucoup d’écoles, avec des étudiants qui disent : mais putain, enseignez-nous le respect du vivant, la biodiversité, l’inclusion… J’essaie de transmettre ce que j’aurais voulu apprendre à l’époque. En école de commerce, on est capable de citer toutes les entreprises du CAC 40, mais on ne connaît pas dix noms de fleurs ou d’animaux de notre quotidien. » Fort de son expérience difficile, il essaie de pousser ses étudiants vers des carrières qui leur correspondent le plus tôt possible.  « Les premières questions que je pose, c’est : qu’est-ce qui vous révolte et qu’est-ce qui vous anime ? Je me dis que si tu sais répondre, ça peut déclencher des choses. »

Ce qui révolte François est clair pour lui désormais – « un système capitalistique destructeur des écosystèmes naturels et de la biodiversité » – tout comme ce qui l’anime :  « transformer cette colère en action, en faire un moteur de rébellion ». Pour cela, il use des réseaux sociaux, notamment Linkedin, sur lequel il est très actif. « J’ai l’impression que je peux créer un écosystème et lui apporter de l’information et de la pensée sur les sujets que je porte. » S’il multiplie les tribunes et donne volontiers des interviews, il reste lucide sur l’impact de sa parole. « Je ne suis pas dupe, je sais qu’on est dans un entre soi, qu’il y a des algorithmes qui nous donnent à voir ce qu’on a envie de voir. Je suis bien conscient que les masses citoyennes ne sont pas forcément sur LinkedIn et que c’est un réseau élitiste. » Ce qui ne l’empêche pas d’essayer, et au passage de se nourrir de ce « process d’écriture qui est très important ».

Un moyen de toujours prendre le temps de réfléchir, et de ne pas reproduire les erreurs du passé ? « On ne trouve jamais vraiment l’équilibre parfait. Je sais que la vie c’est gris, c’est pas blanc ou noir. J’ai dû jouer entre différents piliers, la famille, le travail, l’amour, les amis. Mais au bout du compte, je me sens plus aligné ». « S’il est plus serein quant à son propre avenir, il reste inquiet pour la société dans son ensemble. “Ma peur a changé. Ce n’est plus une peur personnelle, mais une peur collective qui s’empare de moi au fur et à mesure que je creuse les sujets, que j’interview des scientifiques sur des sujets de durabilité ou d’impact social. Ça a aussi changé des choses sur ma colère, qui est moins dirigé vers moi-même et davantage dirigée vers un certain système. »

Une colère qui pourrait mener vers d’autres chemins encore ? « Rien n’est figé », reconnaît François qui « alterne toutes les phases », de la « communauté éco-consciente reculée » à la longue marche seul, en passant par les chèvres dans le Larzac, « même si Dieu sait que c’est un métier difficile ». « Aujourd’hui, je suis dans une certaine forme d’action, mais demain, qui sait ? Mon chemin n’est pas fini. »

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William Buzy

Écrivain et journaliste, William Buzy a fondé le média Impact(s), spécialisé dans la journalisme de solutions, et fait partie d’un collectif adepte du journalisme littéraire et du documentaire. Auteur de plusieurs romans, il a également publié des récits et des essais sur le journalisme.

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