La COP28 échoue à réguler le Far West des crédits carbone

Par Charlotte Combret , le 14 décembre 2023 - 5 minutes de lecture
Le président de la COP28, Sultan Ahmed Al Jaber, le 13 décembre 2023

Le président de la COP28, Sultan Ahmed Al Jaber, le 13 décembre 2023. Crédit : Giuseppe Cacace / AFP

Malgré des négociations dites « sans relâche », la COP28 a échoué à fixer des règles à la vente de crédits carbone. Une semi-victoire pour les ONG, qui dénonçaient les propositions formulées à Dubaï, mais craignent désormais que le vide réglementaire n’accentue le greenwashing.

Un autre dénouement en demi-teinte. Peu après avoir annoncé un compromis qui mentionne « une transition hors » des énergies fossiles (« transitioning away ») à défaut d’une sortie progressive des énergies fossiles (« phase out »), le président de la COP28, Sultan Al Jaber, a acté mercredi 13 décembre l’échec des négociations sur les crédits carbone. Le PDG de la compagnie pétrolière nationale a ainsi renvoyé les conseillers techniques spécialisés au travail pour qu’ils présentent un nouveau texte à la COP29, l’an prochain en Azerbaïdjan.

Un crédit équivaut normalement à une tonne de CO₂ absorbée grâce à un projet visant, par exemple, à éviter la déforestation ou bien à permettre d’installer des énergies renouvelables ou des machines de captage du carbone. Ces outils très contestés auraient dû être mieux encadrés à l’issue de négociations à Dubaï sur la mise en œuvre de l’article 6 de l’accord de Paris (2015).

Échec sur la coopération

L’alinéa 6.2 doit permettre à un pays bon élève, s’il dépasse ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, de vendre son surplus de réduction à un autre. Restait à définir les modalités de cette « coopération ». Certains pays, inquiets de voir des producteurs d’hydrocarbures l’utiliser pour compenser leurs émissions plutôt que de les réduire, exigeaient une transparence maximum.

La proposition de texte de la présidence avait toutefois « éliminé le minimum syndical en matière de transparence et toute chance d’intégrité environnementale » ; l’échec sur ce point est donc « un soulagement », affirme le réseau d’ONG Clara (Climate Land Ambition and Rights Alliance, qui rassemble notamment Actionaid, Caritas, Oxfam, Greenpeace). Mais cet échec « ne devrait pas être célébré », souligne Jonathan Crook, expert de Carbon Market Watch, « puisque pays et entreprises concluent de plus en plus d’accords bilatéraux, toujours sans cadre ».

L’association mondiale des marchés d’émissions (IETA, dont sont membres de grandes multinationales comme BP ou TotalEnergies) a quant à elle « regretté le manque de consensus » mais affirmé que les accords bilatéraux n’avaient pas besoin de « plus de règles » de la COP. Une dizaine de pays (Suisse, Corée du Sud, Japon et Singapour en tête) ont déjà signé pour acheter les efforts réalisés dans des nations principalement situées en Afrique et en Amérique du Sud. L’Arabie saoudite et l’Irak ont récemment annoncé la création d’entités de supervision nationales. L’entreprise émiratie Blue Carbon, présidée par un membre secondaire de la famille dirigeante de Dubaï, avait demandé « de la clarté » sur l’article 6. Cela ne l’a pas empêché de signer avec plusieurs pays pendant la COP28 de nouveaux accords préalables… « conformes », selon elle, à l’article 6.

Échec sur l’encadrement du marché

L’alinéa 6.4 prévoit que les États, mais aussi par extension les entreprises et même les individus, puissent acheter des crédits carbone grâce à des projets ayant obtenu le tampon d’un organe de supervision onusien. Ce nouveau mécanisme devait rendre leur crédibilité aux crédits carbone en circulation. En effet, leur prix s’est effondré à la suite d’enquêtes ayant montré que les réductions d’émissions promises par ces projets étaient largement surestimées, voire nulles.

Les négociations devaient notamment encadrer l’éligibilité des crédits carbone les plus critiqués : ceux liés aux projets visant à planter des arbres ou éviter la déforestation. De nombreux pays en développement ayant des forêts tropicales comptent être rémunérés via ces crédits pour financer leur transition. Mais les négociateurs se sont finalement opposés à des règles selon eux trop floues. « Cela devrait être un avertissement sérieux aux acheteurs de crédits bon marché permettant du greenwashing et vendus par des traders qui se sont enflammés pour cette conquête de terres » d’un nouveau genre, a déclaré Jannes Stoppel, de Greenpeace. L’IETA a de son côté regretté la « politisation » des négociations.

Petite victoire

Seul texte relatif à l’article 6 adopté mercredi : une feuille de route pour la mise en place de l’alinéa 6.8, qui prévoit une coopération « non fondée sur le marché », fondée notamment sur le financement de projets dans des pays en développement et le transfert de technologies pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. De nombreuses annonces, bilatérales ou multilatérales, ont été faites en ce sens à la COP28 mais reste à voir lesquelles seront intégrées à la plateforme qui sera créée en 2024 pour les recenser. Cette petite victoire « renforce l’idée selon laquelle une approche non fondée sur le marché (…) est la vraie alternative », a déclaré Souparna Lahiri, de l’ONG Global Forest Coalition.

Rappelons qu’en 2008-2009, la France a été le théâtre d’une fraude fiscale monumentale sur le marché des quotas carbone. L’histoire de cette « arnaque du siècle », ayant coûté plus de 1,6 milliard d’euros au Fisc français, a récemment été retracée dans la série « D’argent et de sang » de Canal+. 

(Avec AFP)

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Charlotte Combret

Issue d’une grande école de commerce, Charlotte délaisse rapidement les open spaces parisiens pour s’engager dans la voie de l’indépendance. Son désir de lier pédagogie et poésie la conduit à devenir journaliste rédactrice, dans les Landes, pour des entreprises et médias engagés. Ses passions : le cinéma animalier, les voyages en train, les lectures féministes et les jeux de mots en tout genre.

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