Volte-face : Christophe Léon, ancien entrepreneur : « Le vrai luxe, c’est la nature »

Par Philippe Lesaffre , le 13 novembre 2023 - 8 minutes de lecture
Portrait de Cléon

Portrait de Cléon

Christophe Léon a fondé et dirigé à Paris une agence web à succès durant les années 2010. Puis il a compris à quel point « on détruit les conditions de vie sur Terre ». Alors il a voulu changer de décor pour se rapprocher de la nature : depuis deux ans, il accueille dans son domaine du Jura des particuliers ainsi que des organisations en séminaire pour les pousser à engager une transition écologique.

En cet automne 2023, dans sa résidence du Jura, Christophe retombe sur une photo de lui de 2011. Le cliché, dit-il, date de ses « années folles de startupper ». À l’époque, Christophe Léon dirige Pure Agency, une société de développement informatique qui « marche très bien ». Son entreprise qu’il a fondée en 2008 s’est vite hissée parmi les plus grosses du marché en France. Il a créé les applications mobiles du Loto, de La Redoute, de Darty, de Leroy Merlin ou encore de Disneyland Paris. Les clients se bousculent.

Du digital au végétal

Durant cette période, Christophe gagne bien sa vie, dépense aussi beaucoup. « C’était compulsif. » L’entrepreneur, « fier » de son succès, se déplace en avion, y compris pour les petits trajets. « Je collectionnais les miles, je trouvais ça cool de fréquenter les salons des aéroports… » Pour se rendre à un événement professionnel monégasque, il se rappelle qu’il réservait parfois un hélicoptère à Nice. C’est que Christophe emmenait des clients pour « les flatter ». Une autre époque, il en a pris conscience. Aujourd’hui, loin de tout et surtout des grandes villes, Christophe trouve cela assez « effarant ».

En 2021, l’ex-Francilien s’est installé en famille au cœur du Parc naturel du Haut-Jura, dans la commune des Crozets. Entouré de sapins et de rivières, il a lancé le domaine Le Coupet dans lequel il accueille des particuliers et des organisations pour des séminaires en pleine nature. Du digital au végétal, le changement de cap est profond. On l’interroge sur l’origine de sa bifurcation, il nous renvoie au début de son parcours professionnel.

Entrepreneur, « vie exaltante mais stressante »

Après une école de commerce, il travaille dans le marketing. Parcours classique qui l’a amené à intégrer en particulier l’agence de voyages en ligne Voyages-SNCF (aujourd’hui Sncf-Connect). Son boulot consistait en particulier à « inciter les citoyens à privilégier le train » au détriment de l’aérien. Et ce, notamment via des campagnes publicitaires bien ficelées ou en lançant les Trophées du Tourisme responsable. Durant cette période au début des années 2000, il découvre petit à petit l’état de la planète. « Mais rien ne bouge, le réchauffement climatique ne me touche pas encore. »

Il faut attendre 2015 pour un premier déclic. À ce moment-là, son associé et lui vendent au groupe Luminess la société qu’ils ont créée sept ans auparavant. Et puis certaines choses commencent à évoluer. « J’arrive à arrêter de fumer alors que j’avais tenté à de nombreuses reprises, en vain. » Cela s’est passé lors d’un séjour à la montagne qu’il aime fréquenter. Il manque de souffle lors d’une marche, choisit de n’allumer aucune clope pendant les vacances. Christophe ne recommencera plus jamais. « Le métier d’entrepreneur est exaltant, mais également très stressant. D’autant que j’avais à manager une équipe d’une vingtaine de personnes, et je n’aimais pas vraiment ça. »

« On détruit les conditions de vie sur Terre »

Pour autant, il ne quitte pas encore le navire, demeure (encore cinq ans) responsable du développement commercial de la compagnie. « Elle avait besoin d’avoir une personne qui savait ouvrir des portes… » Néanmoins, il commence à sentir qu’il n’est plus à sa place. « J’avais moins de pression depuis que je n’étais plus le patron, mais je m’ennuyais. » L’heure du grand questionnement a sonné, il se cherche.

C’est à ce moment-là que « les conséquences du dérèglement climatique (lui) saute aux yeux ». Il saisit à quel point « on détruit les conditions de vie sur Terre ». Christophe multiplie les lectures, crée un groupe de discussion afin d’ « interpeller (ses) pairs », des cadres pour la plupart.

« C’est une catastrophe, comprend-il alors, on est en train de vivre un effondrement du vivant sans précédent, qui sera de plus en plus rapide. » Les effets du changement climatique sont de plus en plus perceptibles, il en veut pour preuve le mercure du mois d’octobre, plus haut que jamais. « Les gens s’en sont réjouis, alors que c’est terrifiant. On en est seulement à +1,5° par rapport à l’ère préindustrielle, et ce n’est qu’un début. On manque déjà d’eau, les mégafeux s’intensifient, les phénomènes météorologiques extrêmes, également. »

« Quand on écrit à son député, c’est qu’on est très stressé »

Christophe garde en mémoire un épisode de canicule en particulier. Une vague de chaleur qui a laissé des traces durant l’été 2019. Il loge à l’époque avec les siens dans un appartement non loin du bois de Vincennes et veut prendre les choses en main. Il envoie une missive à son député, dépité. « Quand on prend ce type de décision, c’est qu’on est très stressé », sourit-il. « Je vous fais part de mon effroi devant le monde dans lequel nous rentrons, écrit-il. Nous connaîtrons d’ici quelques dizaines d’années l’enfer sur Terre. » Puis : « Il n’est pas de combat plus noble et glorieux que celui de sauver nos enfants. » Dans la lettre, Christophe regrette que « la lutte contre la catastrophe climatique ne soit pas prioritaire » et vise ainsi à solliciter son représentant. Mais il n’obtiendra jamais de réponse.

Une vie plus sobre dans la forêt

Toujours est-il qu’il réfléchit à sa vie d’après et à un projet qui fait sens, qui le motivera chaque matin.

Pendant un temps, il pense à créer une application mobile pour inviter les gens à « mener une vie plus sobre » en échange de quoi ils seraient récompensés. « J’étais convaincu que ça pouvait marcher », mais il abandonne, faute d’envie réelle. Une autre idée de business l’anime : « construire un ‘anti-Center Parcs’ », quelque chose de « beaucoup plus authentique » dans le but de proposer des vacances plus durables et dans un environnement « moins artificialisé », durant lesquelles « chacun pourrait rencontrer des artisans, des paysans, des musiciens locaux ». Durant l’année du Covid-19, Christophe, après avoir démissionné, rédige un business plan solide, part en quête d’associés, de fonds d’investissement et autres financiers, mais finit par « se dégonfler ». Ne voit-il pas trop gros ? C’est ce qu’il craint.

Christophe se rend compte qu’il aspire véritablement à une vie plus sobre, plus simple, plus en phase avec les éléments naturels. Il continue de vouloir se lancer dans un projet autour de l’événementiel, source de rencontres inspirantes, mais à une échelle beaucoup plus restreinte ; à taille humaine, ça marche mieux. En tout cas, il sent qu’il trouve le bon chemin, c’est positif, encourageant.

Aider les entreprises à se transformer

Le fondateur de Pure agency rachète un gîte de groupe dans le Jura, parvient à convaincre sa femme, qui partage ses convictions écologiques. Ils emménagent en septembre 2021 avec leur fille alors âgée de 4 ans. « Tout de suite, on a réalisé qu’on se sentait bien dans ce lieu, dit-il, car le vrai luxe c’est la nature. »

Au départ, il ne savait pas s’il arriverait à attirer des sociétés à l’occasion de team building dans son domaine Le Coupet. Finalement, ce lieu dans le Jura, il l’a « développé à l’instinct », et les équipes ont bel et bien frappé à sa porte. Notamment des collaborateurs de grandes entreprises telles que Décathlon, Norauto, PepsiCo, EDF, Lafarge ou le fonds d’investissement Daphni.


Il a d’ores et déjà accueilli plus de quarante groupes de taille variable pour organiser sur place des « séminaires immergés en pleine nature ». C’est le projet, Christophe leur propose « des activités en plein air inspirantes et qui rassemblent » en compagnie de musiciens, d’artisans locaux, de guides nature et d’experts RSE pour les encourager au final à se transformer. En somme, il veut les convaincre de s’engager vers la transition écologique. Il en est certain, la forêt donne envie de s’interroger, puis de se bouger.

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Philippe Lesaffre

Journaliste depuis une dizaine d'années, Philippe couvre l'actualité de l'écologie pour plusieurs médias comme Deklic, mais aussi Marcelle, Ekopo... Il est aussi le cofondateur du média indépendant Le Zéphyr, dédié à la protection de la nature et du vivant. Des sujets qui le passionnent.

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