Volte-face : Kristina Hakala, des multinationales aux tiers-lieux : « Il faut dépasser les limites qu’on nous crée à longueur de journée »
Passée par le journalisme et les multinationales, Kristina Hakala est devenue reine du design circulaire. Elle anime aujourd’hui des ateliers dans des fablabs ou des friperies solidaires, et fréquente les tiers-lieux parisiens pour rassembler autour de symboles communs toutes les personnes sensibles aux enjeux climatiques.
C’est un symbole. Simple comme le sont souvent les symboles, mais pas moins fort pour autant. Un drapeau à moitié bleu, à moitié vert, avec au centre une célèbre bille bleue : The Blue Marble, photographie de la Terre prise le 7 décembre 1972 par l’équipage d’Apollo 17 lors de son voyage vers la Lune. Ce « drapeau terrien » nommé Earth Flag One, Kristina Hakala le voit comme l’aboutissement de ses virages successifs. « Chacun avance à son rythme sur le chemin. Ce drapeau, porté par une association, est simplement un emblème commun pour dire qu’on est sensibilisé, mobilisé, investi d’une manière ou d’une autre. Il n’y a pas de propos politique derrière. »c La conclusion d’un parcours de presque 60 ans, un symbole qui rassemble « toutes les strates du mille-feuille ».
Mille feuilles, il faut au moins ça pour raconter l’histoire de cette Finlandaise tombée amoureuse de la France lors d’un voyage scolaire, et qui a 13 ans avait déjà prévenu ses parents qu’elle ferait sa vie à Paris. Après une école de journalisme à Helsinki, elle débarque Gare du Nord, « avec un sac à dos, des dictionnaires, et une petite machine à écrire jaune moutarde ». Pendant 12 ans, elle couvre l’actualité française pour le service public finlandais, avec un fort accent sur les mouvements sociaux. Puis, à la fin des années 1990, on veut l’envoyer à Bruxelles. « Pour moi le journalisme, c’était écrire sur le vécu des gens, la réalité du quotidien. Pas attendre dans les couloirs de la bureaucratie européenne qu’un ministre sorte une tête, prononce deux phrases, et referme la porte. »
Du journalisme aux multinationales
Elle fait donc « le deuil du journalisme pour rester à Paris », refuse la reconversion comme attachée de presse qui lui tend les bras, passe par le bilan de compétences. « Le journalisme a été pour vous une passion, et maintenant vous cherchez une autre passion », lui dit-on. Mais les opportunités tardent, et la vie se fait pressante. Alors Kristina passe par l’assistanat de direction bilingue, le commercial, la veille et le marketing. Elle fréquente les multinationales (Alstom, Areva, Schneider Electric…), avec ce que ça comporte de « lobbyistes » et de « climatosceptiques ». Sans l’appréhender pleinement, sa réflexion sur les questions climatiques commence.
Il y avait peut-être quelque chose d’incorporé très tôt, par ses étés passés sur l’archipel d’Åland, où le rapport à l’environnement et à la nature en général est fusionnel. Mais son déclic, s’il en faut un : un voyage aux Iles Galápagos, offert comme cadeau d’anniversaire pour ses 50 ans. « J’ai passé deux semaines dans un émerveillement absolu, au milieu des animaux, d’une certaine forme de nature libre. » La prise de conscience se matérialise, et un retour à la normale est impossible. « Prendre le RER le matin après un voyage pareil, c’était déjà très très dur, mais alors se rendre à des foires à Abu Dhabi ou à Houston… » Le départ est brutal, mais l’après-coup plus confortable cette fois-ci. Kristina reprend ses études, et intègre le Master « Politiques environnementales et management du développement durable » à l’Institut catholique de Paris. Elle s’intéresse à la transformation des territoires et travaille avec la ville de Loos-en-Gohelle, pionnière en matière de transition. Son maire de l’époque, Jean-François Caron, lui fait rencontrer Pierre Calame. Un coup de cœur qui mènera à la constitution du collectif « Osons les territoires ! », et à la publication d’un manifeste en marge des élections suivantes.
Design circulaire et tiers lieux
En parallèle, Kristina se penche sur les enjeux environnementaux du textile et se forme à l’upcycling. « L’idée du design circulaire est de penser non pas à inventer des produits, mais à utiliser les matières déjà existantes. La pollution de l’industrie textile est à un niveau inimaginable. On fabrique des choses horribles, remplies de produits chimiques, qui vont prendre la poussière au fond de nos placards ou être détruits rapidement. Une étude a montré qu’on avait déjà produit assez de vêtements pour habiller la planète entière jusqu’en 2100. » Elle mène plusieurs projets personnels, comme la fabrication de vêtements pour bébés à partir de t-shirts recyclés, et anime des ateliers dans des fablabs ou des friperies solidaires.
Récemment, elle a rejoint un tiers-lieu parisien, émerveillée par « la mixité qui y est cultivée et le degré de conscientisation des occupants sur les questions environnementales ». Un moyen « de traverser des frontières, de dépasser les limites qu’on nous crée à longueur de journée », mais aussi de réapprendre concrètement à « construire une société ». Autour de ce fameux drapeau ? « Il pourrait peut-être servir de clé ou de débloquant pour associer des gens qui n’ont pas nécessairement les mêmes logiciels. Être un symbole universel de la défense de notre environnement. » Un moyen de rassembler pour agir. Car, même si elle lance parfois que « la prochaine étape est de commencer à crever les pneus des SUV », c’est l’action qui porte Kristina, davantage que la colère. « Je ne suis pas une grande révoltée, assume-t-elle. Je ne suis pas très agressive et je ne prône jamais la culpabilisation. Je pense qu’il faut permettre aux gens de réaliser par eux-mêmes où on en est rendu et ce qu’on doit faire pour se sauver. Mais en agissant toujours, car il ne faut pas tomber dans le piège de l’attente. Notre drapeau est aussi là pour ça, pour rappeler autant que possible qu’on n’a pas de Planète B. »
Pour plus d’informations sur l’association Planet Earth Now c’est par ici 😉
A lire aussi :
📸 Volte-face : Florence Karras, le pouvoir des arbres : « Je suis passée du digital au végétal »
📸 Volte-face : Christophe Léon, ancien entrepreneur : « Le vrai luxe, c’est la nature »
📸 Volte-face : du monde de la finance à la boulangerie artisanale , la métamorphose inspirante de Stéphanie Browaeys
📸 Volte Face : Pablo Lerey, aujourd’hui distillateur nature
📸 Volte-face : Hugo, de Porsche aux coopératives : « Faire ce qu’on a envie, sans que l’élastique ne casse »
📸 Volte-face : Antoine, ex-ingénieur devenu référent carbone : « J’espère que mes choix iront toujours dans le sens de l’action »
📸 Volte-face : Constance Laroche, ex marketeuse reconnectée à la nature : « Bifurquer m’a permis de porter un autre regard sur moi-même. »
📸 Volte-face : Antoine, ex-ingénieur devenu référent carbone : « J’espère que mes choix iront toujours dans le sens de l’action. »
📸 Volte-face : Lisa, de l’audit à la rénovation énergétique : « Je n’étais plus en phase avec ce que je faisais »
📸 Volte-face : Céline ex-directrice marketing de Coca-Cola : « Il ne faut pas choisir entre le travail et ses passions »